La Voix du Nord du jeudi 27 août 1998

Des maisons et des hommes : Mons-en-Barœul
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Page réalisée par Geneviève Roussel, avec la collaboration de Frédéric Piquet, correspondant local de presse.

Curriculum vitæ

Cet architecte à la vie mouvementée laisse un important héritage qui marque le patrimoine de la commune. Plus d'une cinquantaine de maisons Pagnerre.

Combien de pierres l'architecte Eugène-Gabriel Pagnerre a t-il signées à Mons-en-Barœul ? Toutes ou presque ? Beaucoup en tout cas. À celles-ci, viennent s'ajouter les maisons construites à Lille et dans son agglomération.

Mais quel est itinéraire d'un homme dont le parcours professionnel et la vie privée ont été fertiles en rebondissements.

Originaire de la région (il naît en 1874 à Petite-Synthe où son père, Lucien, est négociant), Pagnerre s'installe à La Madeleine avec ses parents qui créent un cabinet d'architecture... La voie est tracée.

Aux côtés de Victor Laloux

À 31 ans, il épouse Eugénie Blochet et c'est alors l'occasion pour lui de réaliser les plans de la maison qu'il va occuper, au numéro 265 de la rue de Roubaix à Mons-en-Barœul. Trois enfants naissent, puis, en 1911, Eugène-Gabriel Pagnerre est admis à Paris au Salon des artistes français présidé alors par Victor Laloux à qui l'on doit la gare d'Orsay et l'hôtel de ville de Roubaix. Un an plus tard, il obtient le titre d'architecte agréé des communes et du département.

Son père avec qui il travaille étroitement, décède. Il décide alors de construire son propre cabinet d'architecture au 4 bis, rue du Quesnelet. Mais, la guerre est déclarée. Mobilisé à Dunkerque en août 1914, il y passe quatre ans tandis que sa mère reste à Mons-en-Barœul dans la maison qu'elle gardera en état jusqu'à son décès, maison réquisitionnée par les Allemands.

Polémiste

Peu de temps après, Pagnerre est élu secrétaire du syndicat des architectes agréés du Nord de la France. Il n'y aura pas d'état de grâce et l'homme démissionne de ce poste, un an plus tard. Il se déchaîne, trempant sa plume dans L'Enchaîné, l'hebdomadaire du Parti communiste. L'homme a choisi son camp.

Un autre événement va être déterminant dans sa vie et lui apporter bien du souci. C'est l'acquisition, en 1927, du château d'Oye-Plage afin d'y aménager une station avicole. Sept ans plus tard, c'est la faillite ; ce qui le désespère car il souhaitait en faire une exploitation familiale prospère pour assurer l'avenir de ses enfants.

Sa vie conjugale en pâtit. D'ailleurs, il se sépare de sa femme, et ferme son cabinet d'architecture monsois bien que poursuivant les projets en cours. Il vit temporairement chez ses enfants avant d'emménager dans un atelier d'artiste, rue Solferino, à Lille.

Il est emporté par une congestion à l'âge de 64 ans. Entre-temps, sa femme est revenue à ses côtés.

Les nombreuses maisons que Pagnerre a réalisées répondaient aux commandes de la moyenne bourgeoisie. Adepte de l'Art nouveau, l'architecte a su répondre aux souhaits de ces clients : réaliser du sur-mesure à un prix très étudié, construire un modèle unique mais qui s'intègre harmonieusement avec l'ensemble de la rue, voire du quartier.

En bref : Un architecte prolifique

« Quand le bâtiment va, tout va ! En ce moment, il se porte plutôt bien dans la région du Barœul ! ».

Ces propos enthousiastes de Gabriel Pagnerre datent de 1929. II n'est pas étranger à cette situation. Comme ses confrères, Pagnerre signe l'essentiel de ses réalisations dans la commune où il réside. Ainsi, à part quelques constructions à La Madeleine, à Lille (rues Claude Lorrain, d'Artagnan et César Franck, place Alexandre Dumas), au Sart, l'essentiel de sa production se situe dans « sa » ville.

Pagnerre habite d'abord au 265, rue de Roubaix (qui deviendra rue Daubresse-Mauviez puis rue du Général de Gaulle), ensuite au 4 bis de la rue du Quesnelet. Ses maisons seront à la fois domicile et cabinet. Pour les Monsois, il conçoit une cinquantaine d'habitations : rue Pasteur (une quinzaine), rue Poissonnier (sept), rue de Gaulle (huit), rue Désiré Courcot (quatorze) et aux environs de la rue du Quesnelet. Elles sont tantôt modestes, tantôt très étudiées. Toutes fourmillent de détails architecturaux.

Pour en savoir plus sur Gabriel Pagnerre, voici la liste des ouvrages et organismes à consulter :

Les petits maîtres de l'architecture moderne, dans la série Architectures au XXème siècle du Nord-Pas-de-Calais

Le siècle de l'éclectisme ; Lille Métropole, un siècle d'architecture et d'urbanisme (Le Moniteur) ;

Opinions et critiques E. Gab. Pagnerre (Mercure de Flandre 1926) ;

Au Nord un astre nouveau ! de George Blachon (Mercure de Flandre 1929) ;

Service documentation du Conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE), 148, rue Nationale à Lille, 03 20 57 67 67.

Doubles

Rue Pasteur, Pascal et Caroline Remondini ont acheté l'une puis l'autre. Deux maisons sinon rien !

Il y a une dizaine d'années, Pascal et Caroline Remondini se mettent en quête d'une maison, qu'ils souhaitent pas trop éloignée de Lille où travaille Caroline. Pascal, lui, est, directeur régional d'une société de négoce en vins. Le couple visite une maison ancienne, rue Pasteur à Mons-en-Barœul, habitation a un étage qui d'emblée les séduits par son charme.

« Nous avons été sensibles au petit côté britannique du quartier ». Quant à la maison, malgré les énormes travaux qu'elle supposait, ils ont tout de suite apprécié le fait qu'elle soit légèrement en retrait par rapport à la rue et ils ont aimé sa disposition intérieure. La précédente propriétaire, une dame âgée, souhaitait vendre cette construction au profit d'une maison plus récente, de plain-pied.

Contrairement aux constructions de l'époque, la maison de la rue Pasteur n'offrait pas d'étroites pièces en enfilade. La largeur était privilégiée. À l'entrée, à gauche, un petit salon avec du parquet, puis la salle de séjour, et enfin, la cuisine exposée au sud, le tout avec des sols en carrelage, avant une petite terrasse suspendue qui mène par un escalier au jardin.

Les Remondini avaient bien repéré, dès l'achat, la signature de l'architecte Gabriel Pagnerre qui figure encore sur la façade en briques. « Mais, disent-ils, ce n'est pas-ce qui a motivé notre envie de l'acheter. »

En 1912

Selon le recensement du CAUE (Conseil d'architecture d'urbanisme et d'environnement), cette maison daterait de 1912.

La maison sera achetée 260 000 F, une acquisition raisonnable, explique Pascal qui précise en contrepoint avoir dû retrousser ses manches pour une rénovation d'importance : « Nous n'avons gardé que les murs ».

Les Remondini s'aperçoivent bien vite que la maison mitoyenne, inoccupée, est quasi-identique, même si légèrement plus petite et qu'elle porte elle aussi la patte de l'architecte. Les Remondini se renseignent. Le propriétaire décède, les descendants sont d'accord pour vendre, les Remondini se déclarent acquéreurs. Ces derniers devront être patients : certains héritiers sont installés en Afrique du Sud, ce qui ne facilite pas les contacts.

Travaux (bis)

Enfin, la vente est réalisée et, de nouveau, Caroline et Pascal entreprennent des travaux pour faire des deux maisons une seule habitation. Les façades qui sont restées intactes, témoignent du talent de l'architecte qui a interprété avec élégance la mode architecturale de la première moitié de ce siècle.

Elles font partie des maisons les plus anciennes de la rue Henri-Poissonnier. Deux frères, deux villas jumelles

À cette époque, lorsqu'on était frères et tout petits, on était habillé avec des barboteuses de la même couleur, du bleu ciel cela va sans dire. Puis, quand on grandissait, on arborait de mêmes pull-overs, bleu marine évidemment.

Au début du siècle, deux Monsois - à croire que c'était des jumeaux - ont encore poussé plus loin cette mode de se ressembler. Parvenus à l'âge adulte, pas question de se différencier malgré l'arrivée dans la vie des deux frères de femmes et d'enfants. Vivre côte à côte était leur plus cher désir. Et ils ont sollicité un architecte afin qu'il leur construise deux maisons mitoyennes et semblables.

Marguerites et coquelicots

Le rêve des deux frangins a été réalisé. Les deux maisons sont bien en tous points identiques. La seule différence est, si l'on peut dire, que l'une s'appelle villa « Les Marguerites », l'autre préférant « Les Coquelicots ».
Le temps a passé, les deux frères ne sont certainement plus de ce monde. Les maisons ont été vendues.

Une Lilloise et son mari se sont portés acquéreurs de l'une d'elles, il y a de cela quarante-cinq ans ! : « Cette maison que l'on appelait alors maison de maître, nous avait plu en raison de l'espace qu'elle présentait avec ses trois étages ».

La réserve de mètres carrés s'est avérée précieuse puisque notre Lilloise, devenue Monsoise et maman, a élevé là sept enfants…dont deux jumelles. Bien conçue dès l'origine, l'habitation n'a nécessité aucune transformation au cours des ans, si ce n'est la suppression de portes afin de ménager un plus grand espace dans la partie séjour.

Une des plus anciennes

L'actuelle propriétaire croit savoir que sa maison est l'une des plus anciennes de Mons-en-Barœul. Si le haut de la rue Henri Poissonnier a gardé le même aspect qu'à l'origine, l'environnement du bas de la rue a changée. « Les jardins, les pâtures dans lesquelles paissaient des vaches, se souvient notre interlocutrice, ont disparu. À la place, on a construit, construit... ».

Photo : Entre la villa Les Marguerites et la villa Les Coquelicots, la symbiose est totale. L’architecte n’a pas signé.

Éclairage : Un homme engagé

« J'ai mon métier dans la peau ! ». Gabriel Pagnerre, architecte et fils d'architecte, était amoureux de son art et avait des convictions. À l'époque, il y avait les architectes diplômés de l'École nationale des Beaux Arts ou d'écoles régionales d’architecture (comme celle de Lille créée en 1905). Et puis, il y avait les architectes patentés, comme Gabriel et son père. Ces derniers reprochaient aux premiers d'avoir la mainmise sur la profession, estimaient que leurs confrères étaient coupés des réalités sociales, ne savaient pas se détacher des modèles de monuments somptueux (hôtels de ville, écoles, édifices religieux...) qu’on leur avait appris à concevoir.

Pour Pagnerre, cette architecture de prestige ne répondait pas à l'attente des classes moyennes. Lui estimait qu'il fallait être sensible à la notion d'abri, voir grand dans le logis des humbles et inventer un nouveau style de maisons de ville. Aux architectes patentés de relever ce défi et défaire le ménage dans la profession car n'importe qui pouvait s'installer architecte. Pagnerre père devient en 1910 l'un des membres fondateurs du syndicat des architectes Patentés du Nord.

Gabriel souhaite un diplôme national obligatoire et pense nécessaire d'éduquer le public. Lorsqu'il s'engage en politique, il se veut le porte-parole de la classe moyenne. Son tempérament fougueux et ses excès verbaux cachent une pondération appréciée par ses confrères et amis qui ont parfois recours à ses conseils. Visionnaire, Pagnerre a aussi défendu l'idée d'une grande métropole: Lille-Roubaix-Tourcoing et les communes du Barœul. Il préface l'ouvrage de son ami Blachon qui veut faire de cette grande métropole la deuxième ville de France et la première en Europe. Mais Blachon est suspect de soutenir les thèses de Gobineau, auteur de l’Essai sur l'inégalité des races. Pagnerre avait aussi son idée sur l'extension et l'aménagement de Mons-en-Barœul. Un plan futuriste de 1925 figure encore dans les archives de la ville.

Courant. L'immeuble « Les Fauvettes» Infiniment géométrique

Toute la rue Henri Poissonnier regorge de maisons d'architectes : Willoqueaux, Duclemortier et Hoden (lire ci-dessous) ont notamment construit, eux aussi, des maisons dignes d'intérêt. Mais, Gabriel Pagnerre reste, sans conteste, le représentant le plus prolifique du courant géométrique.

Ici, il a joué sur la verticalité. Pagnerre a choisi de privilégier les ouvertures, d'en souligner les formes, que ce soient porte ou fenêtres.

La symétrie est parfaite des deux côtés, aussi bien celui correspondant à la porte d'entrée que du côte droit où trois fenêtres se superposent.

Les trois niveaux de cette habitation bénéficient de lignes horizontales de couleur claire et des ornementations viennent encore appuyer l'effet décoratif.

Ces éléments enrichissent l'ensemble, attirent l'attention.

Cette réalisation souligne le véritable catalogue de variations que l'architecte monsois a su créer à travers les diverses commandes qui lui ont été confiées.

Gros plan. Raphaël Hoden trois à l'identique

C'est Raphaël Hoden, architecte de Fives-Lille qui a réalisé cette maison. Au total, ce sont trois constructions identiques qui sont situées côte à côte, rue Henri Poissonnier,

Raphaël Hoden a ici privilégié la répétition pour créer un ensemble.

On aime la sobriété de cet habitat, le petit jardinet grillagé en bordure de la maison située en retrait, les ouvertures cintrées des portes et fenêtres.