Le café Le Prétexte

 


Gabriel Pagnerre a réalisé un estaminet à Villeneuve d'Ascq. Il se situe à l'angle de la rue Jules Boucly et de la place Foch, connue aussi sous le nom de place de l'église du Sacré Cœur à Flers. Une série de maisons, dues au même architecte, le prolonge de part et d'autre.





L'enfilade de la rue Jules Boucly, avec de nombreuses constructions de Gabriel Pagnerre sur un côté de cette voie.





Lucarne avec le dessin de la pastille Vichy, à base triangulaire




La plaque décapée de sa couche de peinture








Les Bains Douches de Flers-Breucq

 


















Une salle de fêtes signée Gabriel Pagnerre

 La salle de fêtes de Flers-Breucq

46 rue Jean Baptiste Bonte
(Villeneuve d'Ascq)


Ce bâtiment, construit en 1912, a été réalisé par Gabriel Pagnerre. Il porte une inscription salle de fêtes où l'on retrouve la touche de l'architecte, avec le compas franc maçonnique stylisé, les 3 points carrés et la forme des lettres dont notamment la barre transversale du A. La construction en briques alternant des triples lignes blanches ainsi que le style des corbeaux sont des classiques dans ses réalisations.


Située au 46 rue Jean Baptiste Bonte à Villeneuve d'Ascq (dans l’ancien quartier de Flers Breucq), cette construction publique est donc la toute première de l’architecte, alors qu'il vient d'obtenir son diplôme d'architecte agréé qui lui ouvre ce marché. 

S’agissant d’une commande publique, avec de nombreuses contraintes, il n’a pu exprimer son art comme il le fera par la suite.




Comme nous l'écrivions, dans la Brève d'Eugénies n° 21, en octobre 2019, cette construction est bien de Gabriel Pagnerre. Nommé architecte de la ville de Flers-Breucq, (une des anciennes communes rassemblées maintenant dans celle de Villeneuve d'Ascq avec Annappes et Ascq), il avait pu dès l'obtention de son diplôme d'architecte agréé en 1912 intervenir pour réaliser cette construction publique. 

A droite, un panneau, présenté en novembre 2023, lors de l'exposition organisée par la Société Historique de Villeneuve d'Ascq sur le centenaire de l’Ecole Jules Guesde de Villeneuve d’Ascq (Flers Breucq), avec un gros plan (en bas) sur la légende : " L'architecte de la ville Gabriel Pagnerre construit en 1912 une salle des fêtes, devenue la salle Alfred Dequesnes en 1977. "

Merci à Guy Selosse.

Opinions et critiques

PREFACE

Monsieur E. Gab. Pagnerre est avant tout un esprit curieux, amoureux de son art : l'Architecture.
Le petit opuscule que des amis me pressent de présenter au public est bien le reflet de cet esprit curieux, chercheur, que je signale ; on y retrouve souvent les traces de cet amour du métier d'architecte. Cette brochure, bien modeste, est le prélude d'un ouvrage beaucoup plus important qui sera bientôt publié et qui aura une répercussion quasi-universelle, étant donné l'ampleur du sujet qui y sera traité : " Enquête mondiale sur la profession d'Architecte ".
On trouvera du reste à la fin des pages qui suivent la Préface de cette vaste enquête que M. E. Gab. Pagnerre n'a pas hésité d'entreprendre.
Le tempérament fougueux de l'auteur du " Mémoire sur les Causes d'une Démission ' l'entraîne parfois sur le terrain de la polémique où son esprit de justice le pousserait à des exagérations de langage, s'il n'était aussitôt ramené à plus de sagesse par son esprit de pondération proverbiale parmi ses confrères et amis qui ont souvent recours à ses conseils éclairés et judicieux.
Questions d'urbanisme, critiques diverses, coups de fouet (peut-être un peu trop claquant) sont bien faits pour intéresser le public toujours plus nombreux qui suit avec tant de sympathique attention M. E. Gab. Pagnerre dans son œuvre critique et littéraire, sans cesser de s'intéresser à son œuvre réalisatrice  d'architecte nordiste.


Valentin BRESLE


Le sol est désolément plat. Il eut été facile d'utiliser les terres des buttes fortifiées pour créer en quelques points, des mouvements harmonieux de terrains. On a nivelé impitoyablement l'emplacement des buttes ! ! !
Je me souviens — et tous mes contemporains se souviennent aussi. C'était, entre les portes de Roubaix et de Saint-André, des coins charmants, herbeux, auxquels de frais bosquets dispensaient leur ombrage. Cela s'appelait « Les Promenades du Préfet ». Les amoureux connaissaient bien « Les Promenades du Préfet ». Nos peintres en ont gardé des souvenirs qui, si non plus fidèles, sont plus tangibles que ceux de nos mémoires. Des souvenirs. Voilà tout ce qui reste. Il eut été si facile, pourtant, d'arranger cela, de donner aux Lillois d'autres promenades qu'un « Bois de la Deûle ».
Hélas, l'esprit de spéculation aidant cette rage de travailler au hasard, sans but précis, tout fut mis en l'état que j'ai désigné plus haut. Rasés les vallonnements, rasés les arbres. Et belle perspective pour demain que des casernes locatives en masses compactes. Quant aux hygiénistes, qu'on laisse rêver ces rêveurs.
On abat n'importe où, n'importe quoi, n'importe comment. Quel monstre peut-il bien être, seigneur, le plan d'extension qui règle, soit disant, l'effort de notre ville hors de ses anciennes limites ? Y a-t-il seulement un plan d'extension ? Misère qu'être obligé, dans « Lille Capitale » de citer pareil état de choses.
On n'ose pas (parce que ce serait à la honte de notre pays) comparer cette façon d'agir avec celle adoptée ailleurs. Il faut, pourtant, faire preuve d'éclectisme et ne pas craindre de chercher des exemples chez nos voisins, voire même chez nos ennemis d'hier.
Je citerai des cas qu'il me fut donné de connaître au cours de voyages récents en Allemagne.
Je me souviens de Magdebourg, sur l'Elbe. Je me souviens surtout de Brème, la ville hanséatique au sujet de laquelle on me permettra de m'étendre en de plus longues explications.
Comme Lille, comme toutes les anciennes cités, Brème était, autrefois, protégée par une enceinte de murailles. Lorsque l'inutilité de cette enceinte fut devenue flagrante, on en décida la suppression. Mais les édiles brêmois n'agirent pas, eux, au petit bonheur. Il y avait une idée à réaliser, idée qui était à la base des projets d'extension de Brème. On voulait transformer les symboles de protection guerrière en symboles de bien-être pacifique, transformer les fortifications en jardins et en promenades.
Altmann, architecte génial, dessina les plans nécessaires, organisa le travail, créa à l'emplacement des vieilles murailles et des fossés bourbeux, une « petite Suisse » en miniature, agreste et rieuse.
Telle réalisation exigea un minimum de frais. Cavaliers et bastions furent démolis, mais seulement dans la mesure utile. Des éboulis de terres muèrent ces ouvrages en collines, en mamelons, séparés par de minuscules vallonnements. On laissa la vie aux vieux arbres qui, bientôt, s'entourèrent de plantations nouvelles, futaies aux troncs vigoureusement dressés, aux branchages nourris de sève jeune.



Le filet d'eau qui stagnait dans le grand fossé fut assaini mais non comblé. Maintenant, un ruisseau décrit ses méandres au travers du paysage transfiguré. Des oiseaux aquatiques le peuplent et l'égaient, un pont rustique le franchit et, aux froids rigoureux d'hiver, le lac qu'il forme à tel endroit sert aux brêmois de champ de patinage.
Pour diminuer les frais d'entretien de ces jardina, la ville s'est réservée quelques ressources (et ces dernières sont relativement importantes). Des parcelles de terrain furent vendues pour que l'on y construisit des habitations de repos ou de plaisance. D'autres parcelles furent louées et les adjudicataires érigèrent, là, des crémeries, un théâtre de verdure, une salle de concerts et d'expositions, un belvédère.
Quelques noms rappellent seuls les fortifications rébarbatives. Ici la « Contrescarpe » que bordent une rangée de belles demeures et une route qui longe les jardins. Ailleurs, et aménagé de la même manière que la « Contrescarpe », c'est le » Wall » ou boulevard.
Mais pas plus que par les casernes à location dont je parlais tout à l'heure, il ne faut laisser ceinturer une ville par un cordon de verdure. Les brêmois le comprirent bien qui ont prévu une solution de continuité entre la vieille ville et les quartiers neufs. En l'occurrence on créa en quelques endroits de la périphérie de larges boulevards bien éclairés. On passe ainsi, sans transition, d'une partie de la ville dans l'autre. Ces artères bordées d'habitations et de magasins ne font que traverser les jardins dont on découvre, grâce aux seules coupures de la Contrescarpe et du Wall, les belles perspectives.
On édifia, en mémoire d'Altmann, un monument dans les jardins de Brême. On peut dire que cet hommage était bien mérité.
Revenons à notre Lille. Il ne faut pas se leurrer et que la griserie des beaux et grands projets ne nous écarte pas du domaine des possibilités. Nous avons vu ce que l'on fit à Brème mais encore, là, avait-on su s'y prendre à temps.
Chez nous, beaucoup de mal est fait et notre cité n'aura jamais les promenades que, pourtant, elle était bien digne de posséder. Beaucoup de mal est fait, mais non pas tout le mal possible. On peut sauver des paysages, encore. Il suffirait pour cela que quelques-uns y mettent de la bonne volonté. Le démantèlement de la Capitale des Flandres n'est pas terminé, mais il faut agir de toute urgence.
« Les Amis de Lille » poussent le cri d'alarme et puissent-ils connaître le bonheur de voir leur appel entendu et. ce qui est mieux, compris.


En réponse à la lettre
de M. S. C. " Ami de Lille "



Comme beaucoup de ceux que la chose intéresse, Mr. S. C. ne se sent pas à l'aise devant la question du « Plan d'extension de Lille ». Des points nombreux lui paraissent obscurs. Absence totale de précisions qui aideraient à comprendre le problème. Ajoutons que le plan adopté fut exposé mais non publié ; ce qui n'est pas pour inspirer confiance.
Et, tout d'abord, ajoutons quelques lignes à la chronique contemporaine de notre ville. Voyons comment est né le plan d'extension.
Il y a quelques années, la Municipalité de Lille ouvrit un concours aux Tins de recueillir idées et projets concernant l'extension et l'embellissement de la ville.
Plusieurs architectes de talent (1) déposèrent alors de 1res remarquables projets. Un classement fut effectué. Dans la première section (projets s'appliquant à l'agglomération lilloise tout entière) les projets « Cœur de Flandre » et « Urbs vivit » obtinrent les première et seconde places tandis que le projet « Vauban » était proposé pour l'achat. D'autres projets furent classés, encore, mais qu'on me pardonne quelques défaillances de mémoire.
Dans la deuxième section (projets partiels) le projet « Minerve » fut seul primé. Ce projet, fort intéressant, comportait l'étude d'un nouveau plan de la ville ainsi que des futurs quartiers de la périphérie compris dans une zone de 3 kilomètres de largeur environ. De plus, un plan au 1/10000 indiquait les routes existantes et à créer, l'aménagement des voies ferrées, le système hydrographique, une étude des parcs, etc.. On nous permettra de penser que ce projet valait mieux (et surtout puisque seul classé) qu'une troisième prime. Une assez sordide question d'économie n'aurait-elle pas influencé la décision du jury ?
Quoiqu'il en soit, le jugement était rendu. Restait à trouver la solution définitive. La question resta quelque temps en suspens. Et c'est là que commence le scandale.


(1) Pour éviter qu'on ne voie, dans les critiques que nous croyons devoir formuler, l'expression d'une rancune personnelle, nous signalons, ici, que l'architecte signataire de ces lignes n'a pas pris part au concours. C'est donc en toute impartialité qu'il donne son avis.



On apprit un beau jour que l'architecte chargé d'élaborer le projet définitif avait été nommé. Surprise ! Cet architecte n'avait pas pris part au concours.
Un tel cas était défendable, certes ? Mais tout au moins pouvait-on espérer qu'une commission serait formée par l'ensemble des concurrents primés el que ces derniers pourraient ainsi exposer leur avis et donner d'utiles conseils. Cela était strictement logique.
Il n'en fut rien. Le plan d'extension et d'embellissement de Lille fut dressé dans le plus grand mystère et nul ne fut mis dans le secret des Dieux.
Le résultat d'une telle façon de procéder ne pouvait manquer d'être peu satisfaisant.
En effet. Lorsque le projet en question fut visible, de graves défauts s'imposèrent aux personnalités compétentes On critiqua... mais la critique avait peu de prise sur l'auteur du projet, Pourtant, remède fut apporté à certaines des plus grosses fautes et lacunes. D'autres, très importantes subsistèrent. Et c'est tant pis pour les Lillois.
Faut-il, parmi ces erreurs, citer le tracé de la rue Anatole-France qui fait se bloquer la vue contre la façade du théâtre alors que la perspective de la rue des Manneliers était tout indiquée ?
Mais laissons là, pour aujourd'hui, la critique des quartiers du centre.
Il y a la question des zones militaires grevées d'une servitude de non œdificandi. Nous ne pouvons qu'approuver, en ce cas, les raisons d'hygiène invoquées en faveur du maintien de cette servitude. Mais pourquoi remplacement même des fortifications échappe-t-il, lui, au non œdificandi ?
Nous avons longuement parlé de cette fausse manœuvre dans notre article : « Urbanisme... à Lille et ailleurs ». Pour en revenir à la première zone militaire, il semble bien que celle-ci soit toujours sous le contrôle de l'administration du Génie. De ce fait, il est probable que le gâchis auquel nous devons assister est imputable à l'éternelle lutte entre administration civile et administration militaire. N'importe ! Il nous semble logique que la servitude non œdificandi existe et qu'on en tienne compte.
Monsieur S. C. parle de villes nouvelles qui s'érigent sur le territoire de communes voisines de Lille ? Permettez ! Il ne faudrait pas oublier que, tôt ou fard, les dites agglomérations seront reliées à Lille, feront bloc avec cette ville. Il y aura, bien entendu, une zone non construite séparant la nouvelle cité de l'ancienne. C'est précisément la ceinture de verdure dont nous parlions à propos de Brême en regrettant que, chez nous, des édiles en fassent saboter les plantations d'arbres.
Et puisque je viens de parler de l'union future de Lille et des communes suburbaines? je voudrais examiner encore le-point suivant qui me semble gros de conséquences.
Lille possède, maintenant, un plan d'extension. Les communes environnantes ont reçu l'ordre d'établir également le leur — et se sont mises à l'ouvrage. Or tous ces travaux auraient dû être élaborés en liaison étroite par les hommes de l'art (1) qui en étaient chargés. Et c’est précisément ce que l'on n'a pas fait. Un peu partout l’ère dès réalisations est ouverte. Il découle de cela que le résultat final se trouve gravement compromis, qu'on étudie beaucoup de plans « pour rien », que le « cafouillage » continue et qu'on gaspille du temps et de l'argent.
Cela, donc... et puis tout le reste !

(1) Quand « hommes de l'art » il y a  car nous doutons que des « agents voyers » soient qualifiés pour mener a bien telle besogne.


Façades Fleuries



Lorsque, après la guerre, il me fut permis de rentrer à Lille, c'est avec un curieux sentiment de mélancolie que j'ai retrouvé les façades nues qui bordent les artères de notre cité.
Je venais de quitter l'Alsace et je gardais le souvenir des villes de là-bas. J'évoquais les maisons, si gaies qu'il semble que ce doit être un beau rêve d'y habiter. Si gaies et accueillantes parce que la décoration florale joue, là, un rôle de tout premier plan.
Pendant plus d'un an, j'ai vécu dans cette vallée de la Doller qui s'étend du Ballon d'Alsace à Mulhouse. Les fleurs foisonnent partout. On les voit, plantes grimpantes, qui s'enroulent au fer forgé des balcons. Toute croisée a son bac à fleurs où s'épanouissent géraniums et volubilis. Dans les villes, dans les villages aussi, partout la fleur triomphe pour la plus grande joie de nos yeux. La maison la plus pauvre s'enorgueillit de sa parure naturelle, comme s'en enorgueillissent la riche villa et l'hôtel somptueux.
Je parle de l'Alsace mais d'autres souvenirs se précisent en moi. Souvenirs de voyages, de brefs séjours. C'est, tout près de chez nous, la Belgique. C'est la Hollande, ce sont les provinces d'Allemagne : Bavière, Pays de Bade, Thuringe, surtout. Il y a la Suisse. Hautes vallées alpestres du canton du Valais où de pauvres villages sont ancrés au sol ingrat, où la vie des hommes est une continuelle lutte. Là, des chalets au bois patiné par les siècles, de vieux chalets branlants et misérables semblent malgré tout comme exhubérants (sic) de gaîté. Et c'est le luxe unique de ces masures. Les géraniums posent brutalement sur les poutres grossières, la tache de leur merveilleux rouge. Comme les montagnards de là-haut aiment ces fleurs, de quels soins ils les entourent. On sent qu'elles leur sont devenues autre chose qu'un agrément, presque une nécessité.
Ailleurs, mais en Suisse toujours, dans l'Oberland bernois, par exemple, les chalets plus riches et cossus sont fleuris de même manière. Sous le large auvent que forme l'immense toiture, les petites fenêtres s'ouvrent, dont pas une n'est privée du bac à fleurs en bois curieusement découpé. L'harmonie est incontestable, l'effet esthétique surprend.

Les bords du Lac Léman, Genève, Lausanne, Montreux. Je revois les quais au soleil et les grands immeubles élevés face aux montagnes. Et la décoration florale s'impose, là aussi, comme étant la plus normale, la plus « à la portée de tout le monde ».



Les bâtiments publics, aussi, ont leur parure de corolles et de feuillage. Je cite les grandes gares allemandes. Plus près de nous, la gare de Gand au jardin magnifique.
Et j'en reviens à la France dont les grandes villes possèdent également leurs façades fleuries. A Paris, le grand artiste Frantz Jourdain est président d'un jury qui, chaque année, récompense les efforts et la bonne volonté des « Jardiniers en chambre ».
La coutume remonte loin. Au XIVe siècle les parisiens goûtaient les maisons décorées de fleurs. Les ordonnances de police, même, n'empêchèrent pas les minuscules jardins suspendus d'apporter aux rues leur note de fraîcheur et leur pouvoir évocateur de vraie campagne.
Encore la décoration florale strictement limitée aux fenêtres et aux balcons ne permet-elle pas l'épanouissement complet de cet art du citadin jardinier. Il faut évidemment être heureux lorsque cette première partie d'un programme urbanistique est remplie et donne satisfaction. En beaucoup d'endroits, il n'est guère possible de faire autre chose et mieux.
Quelles ressources nous offre le système des immeubles érigés en tenant compte d'une avant cour. Je ne prétend pas, évidemment, chanter le los de certains jardinets ridicules qui parfois étaient en pleine ville des bassins en ciment et des rocailles lépreuses. Il y a place, entre telle exagération ridicule et le néant trop souvent observé, pour le sobre aménagement d'une avant cour dont l'ambition n'est pas de singer les grands parcs. J'imagine une grille où de la vigne vierge s'enroulerait, puis le tracé très simple d'un très petit parterre, herbes et fleurs, à la mesure de l'emplacement dont on dispose. Du gravier sur les allées (encore le met « allées » ne s'applique-t-il pas à notre cas et évoque-t-il autre chose de plus imposant, un large passage bordé d'arbres). Il y a surtout le porche gagné d'assaut par des fleurs grimpantes, glycines ou autres. On peut préférer à cela la sobriété des plantes vertes mais dès ce moment notre principe est sauf et il n'est plus question que des goûts particuliers de chacun. Des goûts et des couleurs..., disait quelqu'un... Donc ne discutons pas.
Il est évident qu'un inconvénient grave s'oppose à l'application du système des avant-cours. Le terrain à bâtir coûte trop cher pour qu'on en gaspille la moindre parcelle. Tout au moins a-t-on le droit de déplorer que l'éternelle question d'argent intervienne et se mette au travers des projets alors que la beauté des villes est en jeu.
Il est permis, également, de constater quelques résultats acquis. Et qu'on ne m'accuse pas de parti-pris si une fois de plus, je donne en exemple l'Allemagne, en général et Charlottenburg en particulier. Ce grand quartier de Berlin est admirablement construit suivant le principe des immeubles séparés de la voie publique par une avant-cour. Tout y gagne, l'aspect esthétique autant que les conditions d'hygiène. Sans doute, des sommes importantes sont-elles sacrifiées ainsi sans avantage matériel pour la classe des propriétaires. Mais encore y a-t-il un point de sécurité qui n'est pas négligeable. Et je
me souviens des paroles prononcées par l'excellent architecte Henry Baudin, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Genève. : « Construisez, disait-il, des villes attrayantes à habiter. Je vous garantis que la question sociale sera, sinon complètement, du moins bien près d’être résolue. »
Mais Lille, me dira-t-on... J'y arrive. « Les Amis de Lille » ont compris l'attrait que présentaient les façades fleuries. Ils organisent des concours, donnent des conseils. Et ce serait tout à fait bien si les particuliers, les locataires d'immeubles y mettaient un tout petit peu de bonne volonté. Hélas ! Il faut compter avec la force d'inertie, ce terrible ennemi de toute initiative. Les bâtiments existants ne se prêtent pas toujours facilement aux tentatives de décoration florale. Il faut acheter ou faire construire des bacs à fleurs spéciaux. On hésite ; on retarde et l'on finit par ne rien faire.

Mais pourquoi les architectes ne prévoient-ils pas des bacs à fleurs qui fassent partie intégrante des façades. J'ai moi-même essayé de le faire en quelques cas. Je suis enchanté du résultat obtenu et j'affirme que le bac à fleurs peut, a condition d'être bien étudié, devenir un élément architectural de tout premier ordre. Je souhaite que mes confrères essaient, eux aussi, de ce moyen. Et, peut être un jour ? Lille répondra-t-elle à notre rêve d'une cité joyeuse et dont les façades fleuries pourront lutter contre l'ennui d'un ciel éternellement maussade et gris.


Critique d'un Concours

A la suite des divers articles sur l'urbanisme de Lille que j'ai publiés dans le Mercure de Flandre et dans le Bulletin des Amis de Lille, quelques techniciens ont bien voulu encourager de leur approbation l'effort que j'ai tenté. L'un d'eux — qui m’a prié de ne pas le nommer — architecte de grand talent et de ceux qui honorent leur pays, eut l'obligeance de me communiquer le mémoire qui accompagnait un projet présenté au concours qu'organisa la Municipalité pour le Plan d'Extension, d'Aménagement et d'Embellissement de Lille. J'ai pris connaissance du Mémoire en question et j'avoue que la lecture m'en fut une surprise bien agréable. En effet, toutes les idées du maître architecte et urbaniste (que je regrette sa modestie, trop grande) concordaient, dans leurs lignes générales, tout au moins, avec celles que nous essayons de suggérer. Mais qu'on me permette d'ouvrir, ici, une parenthèse, et de quitter pour la polémique le terrain strictement urbanistique.
Dans un récent Bulletin des Amis de Lille, je critiquais, répondant à Monsieur S. C, l'organisation du Concours pour le Plan d'Extension de Lille et la façon dont avait été jugé ce Concours. Je notais la nullité pratique des résultats obtenus, nullité qui n'était nullement imputable aux concurrents. Le mémoire que j'ai sous les yeux est une preuve nouvelle de ce que j'avançais.
Bien placé — puisque n'ayant pas pris part au Concours — pour en faire la critique sans qu'aucun reproche de jalousie ou d'intérêt puisse m'être adressé, je reprends ici des arguments que je juge péremptoires. Dans chacune des sections du dit Concours, de très remarquables projets furent présentés à l'appréciation du jury. Je ne critiquerai pas l'attribution des primes mais seulement la suite donnée a telle compétition. En effet. Le Concours étant «  d'Idées », il importait, celui-ci terminé, d'arrêter pratiquement une solution définitive. Le huis clos resta longtemps impénétrable et lorsqu'enfin, il fut levé, on apprit avec stupéfaction que l'architecte chargé de l'élaboration du plan définitif n'avait pas été choisi parmi les concurrents.
Telle attribution était, certes, défendable, voire même prévue comme éventualité par le règlement du Concours. Mais n'aurait-il pas été nécessaire de nommer une commission composée des concurrents primés. Il est certain que les résultats eussent été meilleurs, et de beaucoup.



Quoi qu'il en soit la façon de procéder fut telle, à rebours du bon sens. Lorsque le plan définitif fut exposé les gens compétents constatèrent un splendide gâchis. Lille était désormais condamnée à ne jamais devenir la belle et grande cité que l'avenir attendait.
Un reproche encore, et d'une autre nature, doit être adressé aux édiles de notre ville. La Direction des Travaux Municipaux se devait d'éditer les Rapports intéressants sur l'extension de Lille. Certains d'entre ces derniers offraient, dans une manière claire et précise, une vue d'ensemble passionnante sur les possibillités de devenir de Lille, Capitale des Flandres. Le public se serait intéressé, aurait compris. Et il me semble, que diable, que le public a bien le droit de savoir et d'être mis à même de s'instruire dans ce sens.
Il ne faut pas trop généraliser, évidemment, mais ne croit-on pas que bien des hérésies commises par des particuliers seraient évitées si l'on prenait en main, sérieusement, l'éducation urbanistique de la masse, si l'on évitait de traiter par le dédain les « profanes » ? Et surtout si l'on considère que les pires profanes sont souvent, de par leur situation politique, appelés à discuter telles questions où une solide compétence devrait être de rigueur.
Je m'aperçois que la pseudo parenthèse ouverte tout à l'heure m'a conduit à traiter de l'essentiel d'une question « critique » et que voici presque un article complet. Je ne veux pas, pour cette fois, m'étendre plus longuement et abuser de l'hospitalité que m'offre en ses pages Mr. Valentin Bresle, le sympathique directeur du Mercure de Flandre.
Je reviendrai prochainement sur toutes ces questions de brûlant intérêt et j'aurai l'occasion d'examiner, entre autres, les points essentiels du rapport présenté par mon correspondant.
S'il nous est possible de créer un mouvement d'opinion, si notre Ville de Lille peut bénéficier, dans la mesure du possible des idées que nous agiterons, je crois que le Mercure de Flandre aura atteint un des buts qu'ii se propose : Donner à la Cité la place qu'entre toutes, elle mérite de prendre.

Sur la Jeune Architecture Belge

J'évoquais — dans un récent article sur « l’Urbanisme, à Lille et ailleurs » — les villes modernes, vraiment MODERNES. Et je promettais d'en parler quelque jour aux lecteurs du Mercure de Flandre.
«  Il y a les villes neuves, exactement étudiées, conçues rationnellement et qui (en de trop raies endroits du globe, hélas) se dressent lumineuses, irradiant de force et de joie. »
La question s'est posée à moi : Y a-t-il, quelque part, une ville réellement neuve et qui soit, en tous points, digne du temps que nous vivons ? Avouons-le ! De telles villes n'existent pas, pas encore, du moins. Il y a, dans certaines cités, des quartiers modernes et c'est tout. Il y a des efforts nombreux (mais pas assez nombreux, encore) et qui manquent trop souvent, de coordination.
Il y a des projets d'architectes et d'urbanistes, des études, des revues et des livres. Mais, allumez orne lanterne et cherchez les réalisations.
Je me livrais donc à telles réflexions peu gaies lorsqu'on me communiqua une publication dont la lecture eut tôt fait de me passionner. Il s'agissait d'un numéro spécial consacré, par la revue «  La Nervie »,  à La Jeune Architecture Belge.
Qu'on me permette d'en parler ici.
Présentation impeccable sous la belle couverture en blanc et noir dessinée par M. L. Baugniet. Au sommaire, des noms sont garants de la qualité des proses imprimées : Pierre Bourgeois, M. L. Baugniet, Marc Eemans, Sta Jasinski, Victor Servranckx.
Pierre Bourgeois nous livre des « Propositions pour l'Histoire de l’Art moderne en Belgique ». Et c'est, précédée d'une étude sur sa naissance et ses précurseurs, une apologie de l'Architecture cubiste.
Voici que s'envole mon pessimisme de tout à l'heure. Oui, il y a des réalisations. Oui, des Architectes peuvent matérialiser leur rêve de modernisme. Et ce sont les maîtres, les Van de Velde, les Horta. Et ce sont les Victor Bourgeois, Acke, Baugniet, De Koninck, De Ligne, De Praeter, Hoste, etc., etc..
Pierre Bourgeois rappelle cette phrase du manifeste architectural contenu dans le premier numéro du vaillant journal bruxellois : 7 Arts : « Le Salut de l’Architecture, c'est la Dèche ».
Et citons encore Pierre Bourgeois, lorsqu'il parle de cette élite des Architectes belges, de ces jeunes qui n'ont pas craint de s'affirmer en dehors des règles admises et des leçons apprises.



« On leur avait appris à concevoir des monuments somptueux ; ils s'appliquèrent en toute ferveur studieuse à l'esthétique de la simplicité, découvrant, à leur tour la grandeur fondamentale de l'abri, » du logis des humbles. Et par là, ils accordaient, leurs méditations aux soucis des économistes, des pouvoirs publics et de la masse des ouvriers et employés mal logés. Emouvante cette rencontre : « l'admirable angoisse spirituelle qui ordonne aux jeunes gens de poursuivre des expressions nouvelles d'art, trouve une alliance fraternelle dans une des crises essentielles de la misère sociale ; le manque d'habitations populaires, de constructions économiques et saines ! ».
M. L. Baugniet parle de l'Architecture intérieure. Car les architectes d'esprit nouveau ont compris que leur rôle ne devait pas se réduire à la seule édification de l'immeuble. Rien n'est indigne de l'architecte, nul détail. El le plus modeste objet vaut d'être étudié tant au point de vue pratique qu'an point, de vue esthétique.
Et voici une règle essentielle dont on voudrait que se pénètrent tous ceux qui, de près ou de loin, s'occupent du mobilier et de la décoration intérieure :
« LA  FORME ET NON L'ORNEMENT CRÉE LE STYLE »

De MARC-EEMANS : « La couleur dans l’Architecture. »
« L'expérience de la grande ville, avec sa multitude de bariolages, nous a révélé l’antinomique valeur psycho-physiologique de la couleur : fatigue et repos, douleur et joie de nos yeux.
« L'agencement simple et logique, la vie sereine des lignes et des volumes et les multiples possibilités urbanistiques ne pourraient-elles pas trouver leur maximum de signification par une adéquate modulation des rythmes colorés ? Les dalles des trottoirs nous tentent, d'infinies mosaïques se précisent. Les châssis des fenêtres, les portes et les volets veulent refléter l'âme de leurs habitants. Les murs tendent leurs surfaces et aspirent à une signification plus humaine ».
« L'animateur de matières, qu'est l'architecte, pourrait-il ne pas entendre ces appels ? Et pourra-t-il se contenter de sa simple architecture utilitaire en négligeant les aspirations spirituelles de notre moi intime ? Je crois que non.
Cependant, nos peintres constructeurs attendent les surfaces et les volumes que leurs pinceaux voudraient animer. »
Cela je me garderai bien de l'alourdir d'un commentaire.
Dans l’Architecture Art majeur », Sta JASINSKI demande qu'on repose le problème de l'architecture :
« C'est bien là ce qu'il faut, c'est une révision complète du cas architectural, c'est qu'au problème de l'architecture moderne il soit apporté une solution urbaine, ensuite qu'on obtienne des architectes une étude plus approfondie des matériaux, qu'ils mettent... ou devraient mettre en œuvre et des moyens pratiques dont ils disposent... ou dont ils devraient disposer ».
« Le premier point serait résolu par l'instauration d'une Commission centrale d'urbanisme, ce qui dans notre esprit aurait pour premier et capital effet de doter notre patrimoine immobilier et esthétique d'une gérance qui lui fait totalement défaut : outre cela elle aurait pour mission de moderniser le service de voirie dans ses rapports avec l'urbanisme..   »
C'est enfin un bel article du peintre abstracteur Victor Servranckx.
I! y a les biographies des principaux peintres et architectes modernistes de Belgique. Il y a la partie illustrée, copieuse et convainquante (sic). Il y a... que la Belgique est incontestablement en tète du mouvement  architectural   moderne.
Et j'emprunte à M. L. Baugniet, la conclusion de cet article :
« L'époque de l'artificiel et du faux luxe est finie, à nouveau parle l'esprit à travers la matière — un esprit renouvelé vivant déjà dans l'actuelle création, la Société future à laquelle artistes et artisans nous convient, par un même besoin de s'unir et de retrouver leur collaboration étroite perdue au cours des siècles de décadence.
A nouveau parle l'esprit à travers la matière ! »


Henri Van de Velde et les " Formules d'une Esthétique Moderne " 7 Arts. - Vers une Architecture par Le Corbusier-Saugnier

Les beaux livres sont rares qui traitent de l'esthétique moderne en général et de l'Architecture en particulier. Or deux ouvrages ont vu le jour récemment. Je dis récemment alors que le premier publié de ces ouvrages le fut en 1923. Mais est-il jamais trop tard pour parler de quelque chose de vraiment bien ? Et ces livres sont mieux que de beaux livres. Ce sont de grands livres.
Henri Van de Velde a bien droit au titre de précurseur. Depuis 1880, il poursuit avec un véritable héroïsme, la tâche qu'il s'est fixée. Malgré les déceptions et les attaques de toutes sortes, malgré les haines de toute une tourbe rétrograde, malgré les calomnies idiotes, Van de Velde poursuit son apostolat d'artiste moderniste. Rejeté par son pays, la Belgique, il trouve en Allemagne un domaine où donner libre cours à son talent. Après la guerre, il se fixe en Hollande. Et toujours il crée, travaille inlassablement, ne consent à aucun fléchissement de sa conception de la beauté.

Il ne suffit pas de s'opposer au goût artistique du public : il faut modeler ce goût. Et Van de Velde fait en toutes occasions des conférences, écrit des essais où il expose ses théories d'art. Ce sont quelques-uns de ces essais (parus de 1902 à 1912) que les Editions de l'Equerre ont publiés sous ce litre : Formule d'une esthétique moderne. Victor Bourgeois préface avec ferveur cet ouvrage. Car, voici que vient, pour Van de Velde, la récompense de son labeur, de son courage. La génération d'artistes qui se lève en Belgique le reconnaît pour son maître et le salue. Il suffirait, pour s'en rendre compte, de feuilleter la collection du journal 7 Arts que publient à Bruxelles ces «  cinq » qui sont Pierre et Victor Bourgeois, Flouquet, Karel Maes et G. Monier. Et les éditions de l'Equerre qui publient le livre de Van de Velde sont aussi l'œuvre du groupe de 7 Arts. Qu'on me permette, au passage, de crier bravo à ceux-là qui, à l'extrême avant-garde, bataillent pour le modernisme et, alors qu'un peu de confusionisme permet à d'autres une marche facile, ne se départissent pas d'une attitude absolument nette et franche sans compromission d'aucune sorte.

La préface écrite par Victor Bourgeois pour les Formules d'une esthétique moderne donne à cette œuvre la meilleure introduction qui puisse être. Je regrette, ne pouvant la citer en entier, de n'en donner que le seul passage suivant :
« Ces pages sont d'une actualité émouvante. Elles ne sont cependant point récentes ni consacrées à des événements précis : leur actualité provient uniquement de leur puissance. Mais la meilleure façon d'être actuel ne consiste-t-elle pas à être durable, c'est-à-dire à devancer ?
Certains penseurs ont le privilège d'indiquer, dès le début d'une crise, les remèdes que tous préconiseront, beaucoup plus tard, lorsque le mal aura accompli un grand ravage, Mais, quand, pour la première fois, ils énoncent leur pensée, l'indifférence les accueille. Leur temps n'est pas venu et pourtant ces hommes, rares et obstinés, commandent l'évolution de leur époque ; ceux qui les dédaignent, les subissent. Allant surpris le secret de la civilisation ou de l'art, ces hommes ont associé profondément leur sort au destin de la société ou de l'esthétique. Eux seuls, étant novateurs, sont les guides et les maîtres
Henri Van de Velde prend magnifiquement place parmi eux.
Il n'est pas inutile de signaler encore que l'influence de Henri Van de Velde fut considérable sur la formation du style moderne allemand. Lors des débuts de ce mouvement en Allemagne, les allemands avaient l'habitude de baptiser « style belge » le style moderne. Preuve indéniable, entre bien d'autres, que le mouvement moderne est européen et non pas uniquement d'inspiration allemande comme se l'imagine trop souvent le public.
Si après avoir rendu à Van de Velde et à la Belgique un hommage mérité, nous tournons les yeux vers la France, quelques personnalités s'imposent immédiatement. Nous avons quelques grands architectes : Tony Gantier, Mallet-Stevens, les frères Perret, Le Corbusier-Saugnier. J'oublie quelques noms. Pour les uns je le fais involontairement et parce qu'ils ne sont pas présents à ma mémoire au moment où j'écris. Il en est d'autres, connus cependant et célèbres que j'oublie parce que je veux bien les oublier. C'est que le modernisme de ceux-là ne vise pas à d'autres résultats que ceux obtenus par la récente exposition des Arts décoratifs. Car parmi les œuvres exposées par des architectes français étaient seules vraiment modernes : La Tour du Tourisme de Mallet-Stevens et la Maison de l'Esprit Nouveau de Le Corbusier. Et j'en reviens à ce dernier.
Le Corbusier s'en va vers le même but qu'indiquait Van de Velde. Pionnier, lui aussi, il va de l'avant et sans doute, parce que plus jeune et d'une autre génération, il s'éloigne sur certains points des conceptions de l'auteur du théâtre de l'Exposition du « Werkbund » à Cologne. Peu importe d'ailleurs, il suffit de marcher toujours et de ne pas faire du « sur place ». Le Corbusier, un jour, sera dépassé parce que les conditions de vie auront changé.
Et c'est l'essentiel des théories esthétiques de Le Corbusier Saugnier. L'architecture doit s'adapter aux conditions d'existence de chaque époque. L'architecture et l'esthétique de l'ingénieur sont solidaires. L'ingénieur établit un accord avec la logique et l'exactitude mathématique. L'architecte crée un ordre et c'est cet ordre qui émeut les spectateurs. Logique, ordonnance des formes, accord avec les lois universelles. C'est cela la beauté.
Un navire un avion, une locomotive, une dynamo, sont chose, belles parce que choses logiques, parce que dépouillées de toute surcharge anormale. Pourquoi n'en sera-t-il pas de même pour l’habitation ?
Qu'on en finisse une bonne fois avec les styles. Et je laisse à Le Corbusier Saugnier le soin de terminer.
« L'architecture n'a rien à voir avec les styles ;
Les Louis XV, XVI, XIV ou le gothique, sont à l'architecture ce qu'est une plume sur la tête d'une femme ; c'est parfois joli, mais pas toujours et rien de plus ».

Coups de Fouet
Et le Péril jaune ? ? ?

La question est à l’ordre du jour. Y a-t-il un péril oriental ? Et voilà toute la gendelettrerie (sic) sur le qui-vive. Monsieur Massis fulmine et moult grosses revues publient des numéros spéciaux consacrés (pour ou contre) à la menace asiatique.
Messieurs les écrivains nous font bien rire avec leur prétention à l'absolue clairvoyance. Pardonnons-leur, quand même ils savent parfaitement ce qu'ils font et ce qu'ils veulent. On sait bien qu'à l'heure actuelle, peu de corporations ont poussé aussi loin le grand art du battage et de la réclame. Passons !
Et c'est pourtant aux princes de la plume et à leur grande querelle « Orient-Occident », qu'hier au soir, j'ai pensé.
Un bruit de fanfares est venu troubler le silence de mon bureau. J'ai voulu voir. Et allons-y maintenant d'une petite description dans le style des chroniqueurs de la grande presse :
« Revenant de Sissonne, le 43e R. I. est rentré à Lille. Il passe dans nos rues et les petits soldats, dignes de leurs aînés, se redressent et rythment leurs pas aux sons martiaux des cuivres. Le drapeau flotte qu'ont illustré ceux de la grande guerre et la soie déchirée frissonne dans le soir. »
Voyez ! Ce n'est pas plus difficile que ça d'écrire dans « Le Grand Echo ».
Heureusement, nous voyons clair. Sous leurs uniformes poussiéreux, ils ont l'air bien fatigués, les soldats. Ils donneraient pour peu de chose toute la gloriole du défilé et tout l'héroïsme qu'ils incarnent.
En tête et très fier, lui, très à son aise, chevauche le colonel. Et qui donc se trouve à ses côtés ? Ah : frémissez, Massis et Montherlant. Alarme, sauvez les meubles et qu'on vole au secours de notre civilisation gréco-latine. Le Péril jaune prend une forme tangible ! Il est là ! Un officier japonais se tient à la tète d'un régiment français d'infanterie.
Massis et Montherlant trouveront ça tout naturel car, voyez-vous, faut distinguer. La question orientale est double, tout comme l'internationalisme, d'ailleurs.
Si les ouvriers français tendent la main à leurs frères allemands, c'est une trahison infâme. Mais qu'un financier français ait des intérêts dans une entreprise allemande, rien de grave. C'est normal, au contraire, et ceux qui s'en indignent ont vraiment l'esprit bien mal tourné.

Le Péril jaune ? C'est les peuples d'Asie apportant à leurs Frères opprimés d'Europe toutes leurs ressources d'énergies. C'est la Russie nouvelle étendant vers l'occident son effort libérateur. Voilà le spectre qu'on agite sans cesse devant les yeux de millions de naïfs. Quant aux chefs, d'armées, qu'ils s'entretiennent amicalement, qu'ils se fassent part de leurs expériences. Cela est bien ! Les armées capitalistes tiennent les peuples en échec. Le môme but est leur raison d'être, à toutes. Souteneurs d'Impérialismes, rien ne sépare les grands chefs qu'ils soient nés à Paris ou que Tokio (sic) ait vu leurs yeux bridés s'ouvrir.

Coups de Fouet
Sur un Sujet déjà traité

Il y a quelques semaines, à propos d'un officier japonais qui suivit les manœuvres du 43e R. I., nous fustigions les gouvernants qui, pratiquant, pour leur compte, l'internationalisme, le condamnent dès que les peuples cherchent à l'appliquer.
Il nous faut revenir sur ce sujet. Certes, nous n'espérons pas que nos « papiers » puissent servir à autre chose qu'informer l'opinion, mais, tout au moins, faut-il marquer le coup chaque fois que l'occasion nous en est donnée.
« L'Echo du Nord » publie une courte notice pour annoncer que le colonel d'état-major turc Basseri bey est en stage au 43e R. I.
Tout d'abord, demandons à l’ « Echo » si les rédacteurs qu'il emploie ont jamais été à l'école. En effet, pigez-moi ce titre en pur charabia : « Nous apprenons les Turcs à faire la guerre !!! ». Mats, ne sortons pas de la question.
Ainsi, après les japonais, ce sont les turcs qui viennent en France pour apprendre à se battre. Je ne pense pas que les uns comme les autres en aient vraiment besoin. Mais il reste cela : La France, école de guerre ! Ce n'est déjà pas un mince titre de gloire, hein ? On parlera, après cela, de l'Allemagne militariste et danger perpétuel pour la paix du monde.
Pourquoi n'évoquerait-on pas les massacres d'Arméniens périodiquement organisés par les turcs ? Pourquoi pas, ô ! France, champion du droit et défenseur des opprimés ? Je connais la réponse. On nous dira que, depuis Mustapha-Kémal et le gouvernement d'Angora, la Turquie est régénérée, modernisée, rrrrrépublicaine (sic). Voire ! Je recommande à tous ceux qui veulent des documents de bonne foi, la lecture d'un livre que Magdeleine Marx vient de publier sous ce titre : La Perfide. La Perfide, on le comprend, c'est la Turquie. Et le bouquin en question est un admirable récit de voyage tout à la fois passionnant comme un beau roman d'aventures et précis comme un récit d'explorateur. Il prouve, ce livre, que rien n'est changé en Turquie. Et je remets en question le cas Arménien et je dis : Comment pouvez-vous, Messieurs les officiers français, vous commettre avec des massacreurs de chrétiens ? Mais bah ! juifs ou musulmans, c'est ceux du peuple qui tombent. Tous les internationalismes légaux sont contre le peuple.

Internationalisme financier des Lubersac et des Stinnes ; internationalisme religieux des popes, des curés, des pasteurs ; internationalisme militaire des états-majors français, turcs ou japonais, tout ça contre les peuples.
Mais il est bien entendu que Moscou, siège de la 3° Internationale (des prolétaires, celle-là) est un repaire de bandits. Bon Dieu, que la logique bourgeoise est pitoyable.
Fit le plus triste, c'est qu'il y a encore des ouvriers qui ne s'en sont pas aperçus !

Coups de Fouet
La Visite aux Assassinés

Ils se souviennent, une fois l'an de leurs victimes. Ils osent se rendre, fleurs en moins et discours aux lèvres, sur les tombes de ceux qu'ils envoyèrent au carnage. Tète haute, regard assuré, les maîtres vont insulter de leur présence ceux qui ne demandaient qu'à ce qu'on les laisse dormir tranquille. Ils prétendent rendre un hommage. Les inconscients ! Je comprendrais qu'ils fassent pénitence, qu'ils aillent à genoux et front dans la boue, sangloter toute leur honte dans les cimetières de province, sur la tombe du soldat inconnu de Paris. Mais ils n'ont pas de cœur, pas de remords. Mais ils ne rougissent jamais !
Ceux qui sont morts pour la patrie. Ah ! s'ils pouvaient parler, ceux-là !
J'ai sous la main, un petit livre de poèmes. Et j'y trouve ces vers qu'on me permettra de citer. Ils sont hélas, de circonstance :
« Laissez-les donc dormir en paix !
Ces morts, ces morts couchés, que vous, ont-ils donc fait
Pour être pourchassés dans leur funèbre asile ?
— Après avoir porté le faix
De tant de maux et de forfaits,
Après s'être damnés pour vos haines civiles,
Avoir sacrifié leur jeunesse et leur sang,
N'ont-ils pas droit que le Passant,
A leur trépas compatissant,
Les laisse enfin pourrir tranquilles ?   »

Celui qui écrivait ces vers s'appelait «  Marc de Larréguy de Civrieux ». Il fut tué le 18 novembre 1916, à Froideterre, devant Verdun.
Mais les tueurs ne peuvent pas comprendre, ne comprendront jamais.
Il y en a d'autres, hélas, qui ne comprennent pas. Je veux parler d'un certain nombre d'anciens combattants, de ceux qui sont groupés dans les Associations nationales. Je comprends que ces hommes-là aillent rendre visite aux tombeaux de leurs camarades. Mais pourquoi ces drapeaux ? Mais pourquoi ces fanfares ?
Où il ne devrait y avoir que des pensées de paix et de recueillement, on voit reparaître le panache, la gloriole, et le pieux pèlerinage devient une cavalcade ! !
Et c'est pour tout cela que la guerre recommence !

Une Enquête Mondiale
sur la Profession d'Architecte

PRÉFACE
On sait quel intérêt de tout premier plan présente, pour toute corporation, la question de défense professionnelle. Le hasard de fonctions administratives qui m'avaient été dévolues par le Syndicat des Architectes du Nord de la France, m'a poussé à étudier de très près telle question, à rechercher ce que l'Etat avait fait pour défendre les architectes et ce que les architectes avaient fait eux-mêmes. Il ne s'agissait pas de se restreindre au cas de la France, il était même absolument nécessaire de savoir « comment cela se passait » à l'étranger. La marche à suivre s'imposait d'elle-même. Il fallait faire à ce sujet une enquête mondiale, questionner des architectes de tous pays, de tous continents. Ce sont les résultats de cette enquête que nous présentons aujourd'hui au public.
Mais il sied, auparavant, de faire une brève incursion dans le passé, de suivre, à travers les âges, la marche — avec des sommets et des dépressions — de la profession d'architecte. Cela nous permettra, peut-être, de mieux comprendre le présent.
Il n'est pas inutile, non plus, de faire, dès l'abord, une profession de foi. L'auteur du présent ouvrage est architecte, est fils d'architecte. J'ai, ma foi, mon métier « dans la peau ». Le cas n'est certes pas rare, et je pense que peu d'architectes ne se sentent pas tenu, par toutes les fibres de leur être, à la profession qu'ils ont choisies. Je ne parle pas, bien entendu, des fumistes et des hommes d'affaires de tout acabit qu'on rencontre parfois et dont nos Régions Libérées furent fout particulièrement, affligées pendant les années qui suivirent l'armistice. Plus que toute autre, la profession exige de ceux qui l'embrassent qu'ils aient « la vocation ».
Qu'on ne s'y trompe pas. L'architecture, Art Majeur, réclame autre chose que des dons de dessinateur, autre chose qu'un stage en une quelconque Académie des Beaux-Arts. Il y a une psychologie de l'Architecture. On attend celui qui saura l'écrire. Peut-être n'aurons-nous pas à attendre trop longtemps, car il faut bien remarquer que peu d'époques possédèrent, autant que la nôtre, tant d'architectes de valeur (je pense surtout à ceux d'avant-garde) et tant de théoriciens de l'architecture.
Il y a l'ambition de l'architecte et ce n'est pas un facteur à dédaigner. Non pas seulement gagner sa vie, voire même faire fortune. Non pas édifier un nombre imposant de constructions plus ou moins intéressantes... et toucher les honoraires. Mais construire le chef-d'œuvre qui restera. Mais dresser — ô ! Solness ! « La haute tour qui, sur les flots, domine ».
Orgueil, dira-t-on. Et après ? A-t-on jamais vu l'humilité à la base de quelque chose de grand ? Foin des vertus chrétiennes. L'Architecture — qui permit l'édification des cathédrales — est un Art payen (sic). J'ai l'air de me complaire dans l'anachronisme et pourtant... Mais je m'écarte de mon sujet, pilote inexpert, et redressons notre ligne de route.
En ce qui concerne le point de vue historique, nous nous contenterons d'examiner la situation des architectes occidentaux. Les renseignements, à vrai dire, ne foisonnent pas. Il est néanmoins, possible ne projeter une lumière suffisante sur des coutumes qui régirent la profession d'architecte à partir du XIVe siècle, c'est-à-dire à partir d'une époque où l'architecte, s'il existait en fait, ne possédait pas la personnalité qu'il acquit par la suite.
Loyalement, je cite mes références : Viollet-le-Duc, fouilleur d'archives et écrivain autant qu'architecte, m'a fourni une bonne partie des renseignements dont je dispose. D'autres sources livresques auxquelles j'avais cru pouvoir puiser, n'étaient elles-mêmes, que des démarquations (sic) plus ou moins avouées des travaux de Viollet-le-Duc.
Jusque vers la fin du XIIe siècle, les constructions religieuses et civiles, voire même les constructions militaires, sont édifiées sous la direction d'architectes fournis par les grands monastères de l'époque. Je dis sous la direction d'architectes mais, en réalité, ce titre n'apparait pas avant le XVIe siècle.  On désignait l'artisan sous le qualificatif de « maître de l'œuvre », désignation infiniment plus riche et plus nette. Alors, on ne réclamait pas à l'architecte — comme hélas, on le fait trop souvent de nos jours — la stricte édification du gros œuvre d'une construction accompagné de quelques maigres détails. L'œuvre, c'était alors non  seulement l'immeuble,  mais  le meuble,  c'était le contenant en même temps que le contenu. Le « Maître de l'Œuvre » étudiait la décoration intérieure aussi bien que la  décoration extérieure. Et je crois que les vestiges qui nous restent de telles époques apportent l'indéniable preuve de la supériorité  d'une  semblable   façon  de  procéder.   Notons avec satisfaction que les architectes modernes (et c'est toujours des éléments d'avant-garde qu'il s'agit, avant tout) s'attachent de plus en plus à ne rien négliger de tout ce qui concerne les immeubles qu'ils construisent, étudiant jusqu'aux objets usuels.
En dehors de tout romantisme, l'Architecture doit poursuivre sa route parallèlement à la vie. Il n'y a pas d'art pur et la croyance en ce dernier fut l'erreur de trop d'artistes à certaines époques. De nos jours encore, combien d'hommes doués gaspillent leur talent à la poursuite d'une insaisissable chimère.
Au XIVe siècle, l'architecte est un homme de l'art dont on indemnise seulement le travail personnel. Nous sommes loin, encore, du statut qui régit actuellement la profession. Celui qui fait construire est son propre entrepreneur. Il achète tous matériaux nécessaires et paie lui-même les ouvriers qu'il embauche. Tout le travail se fait en régie, mais sans que l'architecte ait à s'occuper d'autre chose que de la partie « noble », si je puis dire, de l'entreprise.
Vers la fin du XIVe siècle, l'importance de l'architecte diminue en même temps que s'imposent les corporations. Chaque corps d'état ne s'occupe guère de l'architecte. On constate souvent, dans les bâtiments datant de cette époque, des erreurs qui n'ont pas d'autre cause que ce défaut de liaison.
L'architecte était alors (fin XIVe siècle), rémunéré par appointements fixes. Viollet-le-Duc indique un chiffre que nous citons ici à titre de curiosité. Le salaire d'un architecte était de 250 sous par trimestre ce qui correspond à une somme de 1.500 francs de notre monnaie, ou à peu près.
Puisque notre enquête touche également à la question de l'enseignement, il faut remarquer que pendant les XIII et XIVe siècles, il existait dans diverses régions de la France des écoles laïques d'architecture. Ces écoles se rencontraient, entre autres provinces, dans celles de Normandie, Picardie, Champagne, dans l'Ile de France, aussi, en Bourgogne et en Flandre. L'actuel apprentissage chez un patron, le travail en atelier, rappelle assez bien, sans doute, les moyens d'enseignements des écoles précitées.
Au XVe siècle, la profession d'architecte perd de plus en plus de son prestige, de son autorité.
Dès le XVIIe siècle, on voit paraître, déjà, les parasites de l'architecture. Des non-valeurs s'emparent d'un titre qui n'était, alors, pas plus protégé qu'il ne l'est aujourd'hui. Et j'en reviens à parler d'un point essentiel que J'ai signalé, déjà, au début de cette préface. Je veux dire les qualités de premier ordre qu'on est en droit d'exiger d'un architecte. Platon mettait l'architecture sur le même rang que d'autres sciences de tout premier plan, sur le même rang que la médecine et la philosophie. Lorsque l'architecture n'était encore le fait que des seuls établissements religieux, la valeur de l'individu primait même la hiérarchie conventuelle. De simples moines étaient souvent architectes en chef, tandis que des Abbés s'obligeaient au rôle d'ouvriers.
J'ai glané de pittoresques renseignements sur la profession d'architecte au XVIIe siècle, dans l'œuvre de Philibert Delorme, qui fut un des plus célèbres architectes de cette époque.
« Conseiller et Aumônier du Roy et Abbé de Saint-Serez-lez-Anges », il composa un traité dont les II volumes publiés en 1626, furent réunis sous le titre : « Architecture de Philibert de l'Orme ». Il définissait son but : « que chacun pust entendre les façons et moyens de procéder en l'Art d'Architecture ».
Delorme signale qu'une foule d'ignorants prennent le titre d'architecte, dressent des plans et se mêlent de diriger l'exécution des travaux. En ce temps, déjà, maîtres-maçons, charpentiers, peintres, notaires mêmes, concurrencient (sic) les architectes et déjà ces derniers essayent de se défendre par les pauvres moyens dont ils disposent et qui sont les mêmes de nos jours. Nul novi sub sole.
Philibert Delorme s'en prend à la clientèle, aussi. Il s'indigne contre les gens qui entreprennent de bâtir sans prendre l'avis des « doctes architectes ». Et il donne — devançant Guadet — les préceptes dont ne devra pas s'écarter l'architecte, préceptes d'honnêteté et de loyauté qui sont l'honneur de notre profession.

L'architecte ne doit être ni fol, ni glorieux, ni présomptueux, ni fier. Il doit refuser d'être comptable des deniers du seigneur qui l'emploie, se bornant à diriger les dépenses et à veiller à ce que le seigneur ne soit pas trompé par celui qui aura le maniement des fonds.
Il ne recevra jamais de présents des ouvriers qu'il aura sous ses ordres, afin de conserver la liberté de les tancer et chasser au besoin.
Ceux qui font bâtir doivent, de leur coté, laisser tout pouvoir à l'architecte de choisir les ouvriers qu'il veut employer. Il importe, aussi, qu'il ne soit pas importuné dans ses travaux par les parents et les domestiques du seigneur. Ces gens-là en veulent à l'architecte « parce qu'ils ont peur que la marmite se diminue et que l'on ne fasse si grande chère qu'on a accoustumée », à cause des dépenses faites dans la construction. Et que les propriétaires d'aujourd'hui suivent les conseils de Philibert Delorme recommandant à chacun « d'examiner sa bourse et ses facultés avant que bastir ».
Jamais, à vrai dire, la profession d'architecte n'a donné le pactole à ses fidèles. Les architectes de la Renaissance, par exemple, ne vivaient pas plus en grands Seigneurs que ceux d'aujourd'hui. Ils ne s'amusaient pas à singer les gentilshommes. Ils ne craignaient pas de porter le costume de leur état. Et s'ils savaient se tenir à leur place, sans doute ne se fussent-ils pas abaissés à certains calculs, à certaines combinaisons dont ne se font pas scrupule d'user bon nombre de nos contemporains.
Ainsi on retrouve cette base morale de probité et de droiture en quelque époque qu'on étudie la profession qui nous occupe.
Sied-il de regretter vraiment les siècles passés ? N'exagérons rien et je pense que l'espoir vaut toujours mieux que les regrets. Attendons de l'avenir, tels progrès qui donneront à l'Architecte la place qui lui est due et qu'il saura mériter.
Le passé ? Oh ! le passé n'était pas exempt de tares ; la concurrence n'était pas toujours très loyale entre confrères. Les intrigues jouaient, comme de nos jours, leur rôle, et ce n'était pas très propre, certes.
Je n'en citerai qu'un exemple. Il s'agit du projet d'achèvement du Louvre. L'architecte italien Bernin était en bonne posture, lorsqu'on vit le premier commis des bâtiments du roi, Charles Perrault, intervenir en faveur de son frère. Il réussit à faire évincer le rival transalpin. Ce qui ne veut nullement dire qu'il faille regretter le talent médiocre de ce dernier. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il soit indiqué de se féliciter du choix de l'architecte Perrault et de la fameuse colonnade du Louvre qui lui est due. Mais je m'écarte de mon sujet, qu'on m'en excuse.
J'ai parlé déjà, au cours de cette préface, des familles dans lesquelles la profession passe de père en fils. C'est peut-être cela qu'on peut regretter lorsqu'on regarde dans le passe. On ne trouve plus de véritables dynasties d'architectes, de vraies lignées de grands bâtisseurs.
Je pense aux Drouin, de Nancy, aux Du Temple, aux Le Breton, aux Blondel. J'évoque les Gabriel qui de Jacques 1er (1604) à Ange Antoine (1775), se transmirent intact le flambeau. Je donne tous ces noms sans aucun ordre et tels qu'ils se présentent à ma mémoire. Certes, il y a des oubliés et pas des moindres.
Il n'est, en tout cas, pas possible de nier que la profession d'architecte traverse actuellement une crise. Cette crise correspond à celle que subit l'Architecture elle-même. Il est peut-être intéressant de chercher quels sont les responsables de telle situation.
Il y a l'Etat, tout d'abord, qui ne protège qu'insuffisamment l'architecte et n'accorde aux écoles d'architecture qu'une attention vraiment trop limitée.
D'autre part, est-il possible d'affirmer que seules les qualités et le talent des hommes de l'art entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de passer commande pour un bâtiment officiel ? Je ne le pense pas. On peut observer de nos jours bien des affaires semblables à celle « Bernain-Perrault », que je signalais tout à l'heure.
Le public est coupable lui aussi. On peut enregistrer une absence totale d'éducation en ce qui concerne l'Architecture dont si peu de personnes conçoivent le véritable rôle social.
Pour le public, l'Architecture est un luxe. Encore la plupart de ceux qui seraient en mesure de s'offrir le dit luxe traitent-ils l'édification d'une construction comme une « affaire », comme n'importe quelle affaire.
En troisième lieu et puisque nous venons de parler du manque d'éducation du public, il est permis de regretter que la critique — capable de prendre en main cette éducation — se désintéresse complètement de la question.
Les journaux quotidiens critiquent n'importe quel petit salon de peinture et toute manifestation théâtrale ou musicale. Il est beaucoup moins facile, évidemment, de critiquer un bâtiment qu'une quelconque audition de musique de chambre ; mais l'intérêt de telle question ne mérite-t-il pas un effort ? Je pose le problème. La solution s'inscrit d'elle-même, et clairement, il me semble.
Nous cherchons les moyens capables d'éliminer du corps des architectes tous éléments mauvais. Nous voulons établir une sélection entre ceux qui sont dignes de porter le titre d'architecte et ceux qui déshonorent notre profession.
Pour atteindre ce but, il y a, bien entendu, la réglementation officielle. Mais, on ne saurait, d'autre part, sous-estimer l'influence bienfaisante que pourrait avoir un public « à la page », des masses mises et tenues au courant des choses de l'Architecture.
Les diplômes et les règlements ont en vue la protection du public. Nous voudrions aussi que le public protège en quelque sorte l'architecte.
Il faut pour cela former l'opinion et nous donnons la parole aux critiques. Quelle plus belle tâche pourrait-on leur proposer ? Mais, abrégeons cette préface, trop longue déjà. Avant d'exposer les résultats de l'enquête à laquelle je me suis livré, je tiens à remercier ici, très chaudement, Messieurs les Ministres, représentants de la France à l'étranger et les dévoués Confrères qui voulurent bien répondre à mes questions. Qu'ils soient assurés de ma gratitude. Il m'eût été bien impossible sans leur précieux concours de présenter au public les pages qui vont suivre... et dont je ne retarderai pas davantage la lecture.

AVANT-PROPOS

Dans le but de compléter une enquête, sérieusement amorcée, déjà, par des voyages et des études personnels, nous avons fait tenir à de nombreux architectes un questionnaire portant sur les principaux points qui nous intéressaient. Nous avons eu le plaisir de voir le dit questionnaire — variable suivant qu'il s'agissait d'architectes métropolitains ou d'architectes coloniaux — bien accueilli par nos confrères. Nous demandions à ces derniers non seulement des renseignements sur l'exercice de la profession dans leur pays de résidence, mais aussi leur avis personnel quant à cette profession. En substance,  ceci :
Politique morale et économique de la profession d'architecte. Quelle doit être, selon votre point de vue, cette politique ? Comment les groupements d'architectes de votre pays comprennent-ils cette politique ?
Y a-t-il dans votre pays, des lois réglementant la profession d'architecte et assurant l'exclusivité du titre aux seuls techniciens capables ?
La construction des édifices publics est-elle confiée plus facilement à des architectes agréés par les autorités ?
Les architectes sont-ils groupés en organisations professionnelles ? Quelle est la forme de ces organisations ? Quel but poursuivent-elles ? But économique ? But mutualiste ? S'agit-il de Syndicats de défense ? Quelles sont les écoles qui préparent à l'exercice de la profession ? Quels diplômes délivrent ces écoles ? Quelle est la valeur pratique de ces diplômes ? Quelles sont les conditions requises pour l'admission des élèves ?
Y a-t-il des écoles régionales ou seulement des écoles nationales ? Quelle est  votre   opinion personnelle quant  au  principe d'une réglementation de la profession ?

Nous parlons d'une réglementation de la profession et c'est cela qui nous a donné l'idée de notre enquête. Parce que telle réglementation nous semble non seulement utile mais disons carrément indispensable.
Il y a, d'abord, l'absolue nécessité d'un titre sans lequel un architecte ne pourrait exercer.
En effet. Nous avons vu de quelle importance était le métier d'architecte et quelle science il exigeait et la responsabilité inclue.
Alors que d'autres professions comme celles de médecin, de pharmacien, d'avocat, qui toutes impliquent une certaine somme de responsabilité, sont protégées légalement, l'architecte seul, se trouve désarmé. Tout le monde peut s'établir architecte, alors que des diplômes sérieux défendent l'abord du barreau et l'exercice de la médecine.
Il y a là une inégalité flagrante, une injustice insupportable. Et, c'est aux architectes qu'il appartient de s'insurger, d'imposer leur volonté de voir la profession réglementée.

Pourquoi n'y aurait-il pas une Chambre des architectes, comme il y a une Chambre des Avocats ? Illogisme !... et partout, on en est au même point.
Diplôme, disons-nous, diplôme indispensable.
Examinez de près cette question en prenant la France comme point de base. On verra par la suite ce qui se passe dans d'autres pays et que seule, aujourd'hui, la Russie semble près du but à atteindre.
L'Ecole des Beaux-Arts de Paris et les écoles dites « régionales », délivrent le diplôme de D. P. L. G. . Quelques départements octroient le titre d'agréé des communes et des Etablissements publics. Ce serait parfait et l'on pourrait limiter le nombre des professionnels à ceux pourvus de ces pièces, s'il était permis à tout le monde de fréquenter ces Ecoles. Or, bien des jeunes hommes sont obligés de travailler par leurs propres moyens et nous savons qu'ils ne sont pas les moins pourvus de talent, bien au contraire. On ne peut interdire à ceux-là le titre d'Architecte. C'est donc un diplôme spécial qu'il faut créer. Il faut que, dans chaque département, une Commission spéciale soit formée et fasse passer aux candidats, un examen de capacité. II existe quelque chose de semblable pour les Architectes agréés des communes, mais trop souvent il manque un caractère vraiment sérieux à ces sortes de compétitions.
Voilà donc un moyen de réglementation, je l'indique seulement, en trait d'esquisse. Il faut établir des bases solides, étudier des conditions précises, éviter tout ce qui pourrait servir de prétexte au confusionnisme.
Depuis des années déjà, on recherche dans tous les pays, — ou presque — les moyens d'arriver à tel but. On fait des projets de lois dont certains sont excellents. Nous en parlerons plus en détail à propos de chacun des pays passés en revue.
Si les Architectes veulent arriver à faire valoir leurs droits, il faut absolument que leurs Associations se fondent en groupements puissants, cessent de travailler sans cohésion et de pourfendre l'eau à coups d'épée. Mais il y a ce défaut d'organisation grave. Et cette aisance factice des intellectuels, cet espèce d'orgueil qui les gène pour toute action, qui les font retarder de beaucoup sur les syndicats ouvriers.
Il faudra parler de la Russie et nous n'y manquerons pas, saluant, comme il le mérite, l'effort d'un peuple rajeuni et l'avènement d'un ordre nouveau.
Nous parlerons de la Belgique où quelques-uns de nos confrères poussent hardiment à la roue. Nous parlerons de l'Allemagne où tant de bonnes volontés se sont levées pour documenter l'Architecte français.
Nous avons adopté pour le classement de ces divers pays l'ordre alphabétique, plus logique selon nous. Nous placerons les colonies immédiatement après le pays dont elles dépendent.
Nous avons réservé au Mercure de Flandre, la primeur de ce travail. Toutefois, une partie de notre documentation technique, trop strictement réservée aux professionnels, ne sera publiée qu'en volume. Il s'agit entre autres, des questions d'honoraires, de contrats, etc., etc..
E.G.P.

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E. Gab. PAGNERRE
Enquête Mondiale sur la Profession d'Architecte

M. E. Gab. Pagnerre poursuit, depuis plusieurs années, avec l'inlassable activité qu'on lui connaît, une vaste enquête sur la profession d'architecte dans le monde.
N'hésitant pas devant un travail aussi considérable, qui lui a demandé plusieurs années de recherches et d'études, il a donné à cette œuvre toute l'ampleur que  méritait un pareil sujet.
M. Pagnerre a bien voulu nous confier les résultats de cette enquête, qui a nécessité des voyages d'études (En Allemagne, en Belgique, en Angleterre, etc.), et pour laquelle il a reçu, et continue de recevoir des réponses de tous les pays du Monde : Japon,  Russie Soviétique,  Chili,   République Argentine, etc.,
Nous ne saurions trop insister sur la valeur d'une telle enquête, unique au monde, croyons-nous. Le nom de M. Pagnerre, dont nos lecteurs peuvent suivre dans le Mercure de Flandre les articles si compétents et éclairés qu'il consacre à l'architecture, nous est un sûr garant de conscience professionnelle.
Valentin  BRESLE.

Editions du " Mercure de Flandre "
Lille - 204,  rue Solférino -- Lille
LILLE - IMP DU  PROGRES DU NORD