C'est donc ce grade qu'il a quand est prise la photographie, le 19 janvier 1915. A cette époque, tout le monde pense que la guerre va être rapide, et personne n'imagine que l'année 1915 sera la plus terrible de toutes. Il écrit de Téteghem le 8ème tranquille ! D'ailleurs, il a noté guerre 1914-1915, car bien entendu dans quelques mois tout sera fini…
1 Le numéro matricule du régiment figure sur le képi. Ici c'est le 8ème d'infanterie.
2 Le képi est celui de 1884, distribué lors de la mobilisation. C'est un modèle typique de képi de sous-officier reconnaissable à sa forme polo avec une fausse jugulaire dorée. Le képi connaîtra de nombreuses variantes.
3 Au revers du col de la capote figure également le numéro matricule du régiment. Souvent les numéros régimentaires sont repassés à la craie blanche. Ce numéro se détache sur un fond rouge.
4 La capote est du vénérable modèle de 1877 avec son double boutonnage.
5 Des deux côtés, une petite patte grâce laquelle on peut accrocher une épaulette qui se fixe avec le bouton que l'on voit près du col.
6 Le galon doré de fourrier, le double galon de caporal n'est pas visible car situé au bas de la manche, n'est dus métallique et normalement une taille réduite depuis le 28 octobre 1914, mais le système D et l'improvisation sont encore de règle. Il est normalement bleu foncé pour les caporaux et non plus rouge depuis cette date.
Sur cette photo on ne voit pas le pantalon garance. On a beaucoup évoqué les problèmes de vulnérabilité posés par la couleur rouge extrêmement voyante de ce pantalon. En fait cette couleur n'était pas tellement visible de loin, ce sont plutôt les éléments métalliques brillants au soleil qui étaient repérables. D'ailleurs ce seront les boutons, les plaques de ceinturon et les galons métalliques que les tireurs allemand avaient appris à repérer, ayant compris qu'en touchant le gradé la troupe perdait sa cohésion.
Les caporaux et les brigadiers changèrent la couleur rouge de leur galonnage pour un bleu foncé. L'année 1915 est celle d'une première uniformisation de l'apparence du soldat français. Au prix d'un important effort industriel et d'importations massives de matières premières, l'intendance militaire parviendra à vêtir à peu près convenablement la grande majorité des combattants à temps pour les grandes offensives de printemps en Artois et en Champagne.
Ce samedi 3 juin 1916, les Alliés proclament l'état de siège à Salonique à la suite de la prise du fort de Rupel par les troupes germano-bulgares. Gabriel Pagnerre a obtenu une permission pour se rendre auprès de sa famille. Celle-ci a dû se réfugier à Calais, car la demeure familiale de Mons-en-Barœul, le Vert Cottage, est réquisitionnée par l'armée allemande pour y loger ses officiers. La permission a été accordée car l'architecte intègre le génie à partir du 5 juin 1916.
La pose, réalisée chez un photographe, est très statique, devant une toile peinte comme c'est l'usage. Les visages sont peu souriants, cela peut s'expliquer par les conditions de la prise de vue mais aussi par le contexte. Les enfants (Marc 11 ans, Claude 9 ans et Nelly 6 ans) sont bien habillés. L'épouse Eugénie Bloclet ne porte pas de bijoux et une belle robe blanche assez simple.
La semaine suivante, le 9 juin 1916, paraît au Journal Officiel, l'avis de passage de Gabriel Pagnerre dans le génie avec son grade de sous-lieutenant, obtenu le 23 août 1915. Il sera affecté au 1er régiment du génie le 5 octobre 1916 et c'est, à Verdun, le 25 octobre qu'il dessine, en tant que chef de service des communications du corps d'armée, le plan « Abri et dépendances pour l'officier ».
1 Le képi à cette époque, est souvent encore celui distribué lors de l’entrée en guerre, dit modèle 1884. Pour l'infanterie il est recouvert d’un manchon de toile de coton gris-bleu. Sur le front il est recouvert d'un couvre képi pour des raisons de discrétion. Il est de forme polo ou manchon. Il est logique qu'il soit absent sur cette vue familiale.
2 Il n'y a pas de chevron sur le haut de la manche de la vareuse. Les chevrons indiquent le temps passé au front. Le premier pour une année, les suivants pour six mois.
3 Il n'y a pas de pattes triangulaires à soutaches au revers du col de la vareuse. Ni aucun numéro de régiment.
4 Les officiers sont partis en guerre avec des tenues aux couleurs vives, destinées à les rendre bien visibles de leurs hommes dans la confusion des combats. Ils vont devoir adopter très rapidement des mesures de camouflage et passer du rouge et noir au bleu horizon. Les boutons en cuivre, les boucles des ceinturons ne doivent plus être trop brillants.
5 Un seul galon est présent sur le bas de manche de la vareuse, ce qui correspond au grade de sous-lieutenant. Trop repérable par l’ennemi, une décision du 28 octobre 1914, rend les galons beaucoup plus discrets, leur taille est de 1,5 cm de large pour 3 cm de long.
La tenue vestimentaire est surprenante. Il y a eu certes de nombreuses modifications dans l'uniforme, à la fois pour des considérations stratégiques, mais aussi financières et d'approvisionnement en matières premières. Il faut également remarquer l'absence de ceinture et de baudrier. Certains éléments peuvent être absent uniquement parce que Gabriel Pagnerre se retrouve en famille dans la vie civile. On se pose toutefois la question si ces particularités ne sont pas dues à un changement d'unité en cours de réalisation. Ce n'est pas un simple changement de régiment, Gabriel Pagnerre passe de l'infanterie au génie. On sait que de nombreux officiers se faisaient tailler leur uniforme sur mesure, à leurs frais, dans le civil. Les garnitures étant apposées secondairement. Les bottes, en cuir, sont de toute beauté et certainement très pratique. Là aussi, il pourrait s'agir, très probablement, d'un achat personnel.
Quelques jours avant la déclaration de la première guerre, le 26 juillet 1914, on inaugure à Halluin, La Maison du Peuple que vient de bâtir l'architecte monsois Gabriel Pagnerre. Dans cette construction emblématique, on entendra résonner les appels à la paix moins d'une semaine avant la mobilisation. Le refus de la guerre du mouvement internationaliste trouvera sa limite avec l'assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet 1914 et la guerre est déclarée le 3 août.
La mobilisation générale, le 2 août 1914, surprend Gabriel Pagnerre ainsi que sa famille alors qu'ils se trouvent à Dunkerque. Il parviendra à rejoindre son corps d'affectation le 13 août 1914. La ligne de front qui s'établit sur les Monts de Flandre empêche sa famille de revenir au Vert Cottage, rue du Quesnelet à Mons-en-Barœul. Celle-ci devra rester sur le littoral. Âgé de 40 ans, père de 3 enfants, il refusera l'exemption à laquelle il aurait pu prétendre et sera même affecté ultérieurement à Verdun.
Blessé à deux reprises, Gabriel Pagnerre, termine la guerre comme officier du génie en Alsace libérée, il ne sera démobilisé que le 8 janvier 1919. Avec ses 3 années de service militaire, que l'on peut compter sur son livret, reproduit ci-contre, ce seront donc presque 8 ans de sa vie que ce monsois passera sous les drapeaux. Il obtiendra trois médailles qui figureront sur ses documents officiels la Légion d'Honneur, la Croix de Guerre et la médaille du combattant.
Voir la Légion d'Honneur de Gabriel Pagnerre
Un monsois à Verdun
L'architecte Gabriel Pagnerre, qui avait son deuxième cabinet d'architecture monsois au 2 rue du Quesnelet à Mons-en-Barœul, a dû quitter celui-ci à la déclaration de la guerre, en août 1914. Sa demeure connue sous le nom du Vert Cottage, est réquisitionnée par l'occupant. Sa famille doit se réfugier à Calais et pendant ce temps-là, il est à Verdun, comme officier du génie, au plein cœur de la bataille. Lui qui était pacifiste, et qui pouvait être dispensé a souhaité défendre la patrie au péril de sa vie. Il obtiendra plusieurs décorations dont la Légion d'Honneur, dont on voit le ruban à sa boutonnière.
Le document, daté du 25 octobre 1916, qui a été retrouvé dans ses carnets dits de guerre, montre qu'il n'a pas perdu son coup de crayon d'architecte, puisqu'il dessine son abri avec ses dépendances. Il y a le coin pour l'aide de camp Antonin, une cour avec la réserve de bois, la cuisine, la chambre qu'il occupe et l'écurie pour sa jument " Jolie ". Il y a même un parc ! On croit rêver ... Pourtant, c'est bien à Verdun !
Gabriel Pagnerre en 1918
C'est la seule photographie qui nous soit parvenue de Gabriel Pagnerre avec l'uniforme du génie.
L'aspect souriant pourrait indiquer une photographie faite fin 1918, pourquoi pas après l'armistice du 11 novembre 1918. Il porte la tenue de lieutenant, grade obtenu le 23 octobre 1917. Le verso de cette photo, carte postale, comporte ce texte : Lieutenant au 2ème génie. Quel as. Ptit papa. Fait à Paris en 1918. C'est la guerre !! 44 ans. Toujours pareil !!!. On est chez un photographe devant une toile peinte.
On sait, d'après son livret militaire, qu'il a été affecté au 7ème régiment du génie de la 7ème armée à partir du 15 mai 1918. A cette époque, il est lieutenant à titre définitif, grade qui lui a été accordé depuis le 23 octobre 1917. Il était auparavant au 1er régiment du génie depuis le 5 octobre 1916. Les officiers du génie sont de vrais techniciens, dans des disciplines aussi variées que le franchissement de cours d'eau (pontage), la direction des chantiers (aménagement de routes, pose de voies ferrées à écartement réduit, etc.), le creusement de galeries de mines, le maniement de charges explosives, le travail du béton ...
Deux régiments disposent d'une spécialisation : le 5ème génie, régiment des chemins de fer et le 8ème génie, régiment des transmissions.
Gabriel Pagnerre fera une grande partie de la guerre 14-18 dans l'infanterie, et notamment dans le secteur de Verdun, comme le précise le plan qu'il dessine de son abri. Cela peut paraître étonnant, vu sa compétence et son expérience en architecture, sachant de plus qu'il avait obtenu son diplôme d'architecte agréé dès 1912.
1 Le képi est le tout nouveau modèle apparu en 1918. Il est intégralement noir, avec des galons et des boutons dorés. Sa forme en manchon est caractéristique des couvre-chefs de la dernière année de la guerre.*
2 Ce képi porte un double galon correspondant au grade de lieutenant, bizarrement il n'y a pas le chiffre du régiment.
3 Les pattes de col en velours noir du génie, avec les chiffres dorés et les deux soutaches rouges pour les officiers.
4 La vareuse est bleue horizon, avec une simple rangée de boutons, à col rabattu, sans aucune décoration.** On remarque une barrette et des épaulettes.
5 Les chevrons indiquent les années passées au front. Le premier compte pour une année, les autres pour six mois. Il y en a 6 donc 3 ans 1/2.
6 Les boutons de la vareuse sont dorés et surchargés du symbole du génie : la cuirasse et le pot-en-tête.***
7 Le baudrier et la large ceinture en cuir avec une boucle en cuivre et une accroche.
8 Le bas des manches porte deux galons correspondant au grade de lieutenant.
9 Le port d'une cane pourrait indiquer quelques conséquences sur la santé.
10 Des superbes bottes en cuir, bien plus pratiques que les guêtres ou bandes molletières.
* C'est l'aboutissement d'une longue évolution qui a vu les képis d'officiers osciller entre une forme haute, basse, cylindrique, tronconique, au gré des modes.
** Gabriel Pagnerre obtiendra trois décorations dont la Croix de guerre et la Légion d'Honneur.
*** La cuirasse et le pot-en-tête étaient portés autrefois lors des travaux de sape en approche des fortifications.
La route Joffre est une route stratégique historique, de 15 km de longueur, entre les Vallées de la Doller et de la Thur, dans le Haut-Rhin, en Alsace. Elle est numérotée RD 14 bis IV.
Cette route sinueuse a été aménagée pendant la guerre 1914-18 pour ravitailler Thann, ville libérée de l'empire allemand dès 1914. Elle permettait d'assurer les communications entre les vallées de la Doller et de la Thur. Elle fut l'une des principales artères de la bataille d'Alsace et de celle du Vieil Armand. Elle relie Masevaux à Thann, en passant par Bourbach le-Haut et le col du Hundsruck.
La route Joffre est aujourd'hui une route touristique qui attire tous les amoureux de la nature. Elle offre de magnifiques panoramas entre les vallées de la Thur et de la Doller ainsi que sur le Grand Ballon (1424 m).
Cette photographie a été prise par le service photographique des armées le 25 janvier 1918. Elle montre un général faisant halte sur cette nouvelle voie de communication qui a été construite par le 5ème bataillon du génie. La partie comprise entre Masevaux et Bourbach le Haut l'a été dès 1915.
La route Joffre, route stratégique, qui avait comme but essentiel l'approvisionnement en hommes et en matériel du front et particulièrement celui du Hartmannswillerkopf.
La photo montre les troupes empruntant la route Joffre au point n°40.
Le Général Joffre, artisan de la victoire lors de la bataille de la Marne et de la stabilisation du front nord au début de la guerre, a été nommé maréchal de France en 1916. C'est un des responsables militaires les plus controversés du XXème siècle, notamment en raison de l'emploi de la stratégie militaire de « I‘offensive à outrance » extrêmement coûteuse en vies humaines pour des résultats relativement médiocres sur le terrain, notamment lors de la bataille des frontières et de la bataille de la Marne. En 1916, il est alors remplacé par le général Nivelle.
« La vallée de Masevaux 1914-1918 » de Jean-Marie Ehret, Georges Redhaber, Bernard Sutter et Daniel Willmé. © Alsagraphic (1997) et Association Eugénies
Après la signature de l'armistice le 11 novembre 1918, Gabriel Pagnerre ne regagne pas ses foyers immédiatement. Après plus de 4 années de guerre dont 3 et demie passées au front, il reste dans le 7ème régiment du génie. Sa démobilisation interviendra seulement le 9 janvier 1919.
Durant ces quelques mois supplémentaires passés au sein de l'armée, alors que la guerre est terminée, il est affecté à la remise en état des routes en Alsace et va s'occuper d'un chantier, en tant qu'architecte, entre Masevaux et Bourbach le Haut, et plus particulièrement du tronçon jusqu'à Houppach. Ces deux villages sont situés dans le département du Haut-Rhin, dans l'Alsace, qui vient d'être reconquise.
Cette route est connue sous l'appellation de route Joffre. Il dépend du service des routes de la 7ème Armée, et intervient dans le secteur du capitaine Leblanc. Le plan, était épinglé avec une bande de papier millimétré représentant les coupes de terrain dessinées de la main de Gabriel Pagnerre.
Pagnerre à Téteghem (1915)
" Si vous voulez faire des hommes, faites leur d'abord un milieu. " Le Corbusier
S'il n'a pas bâti à Téteghem, le réputé architecte Gabriel Pagnerre du moins y fut de passage, comme l'atteste une photo carte postale de lui en militaire écrite du village le 19 janvier 1915.
Sur cette photo, il porte l'uniforme de caporal fourrier du 8e régiment d'infanterie, sa première unité d'affection pendant la Grande Guerre avant d'être plus tard versé dans le génie à Verdun. Dessous son portrait, il a noté « Guerre 1914-1915. 8e tranquille ».
Comme beaucoup il s'illusionne alors sur la durée du conflit, qu'il pense bref, le voyant fini dans les prochains mois, certain d'une France vite victorieuse. C'est un engagé volontaire qui, bien que non mobilisable (40 ans et père de trois enfants), par patriotisme a demandé son incorporation (1).
Gabriel Eugène Pagnerre - Eugène Gabriel Pagnerre après la guerre (3) - est un important architecte du Nord, connu pour ses créations dans la métropole lilloise, où se concentre l'essentiel de son activité, et sur le littoral.
Outre de nombreuses villas, dont l'élégance et le caractère feront sa renommée, il a aussi construit des logements sociaux (habitations à bon marché) et réalisé des bâtiments publics (écoles, bains-douches, dispensaire, La Maison du Peuple à Halluin …) ainsi que des ouvrages industriels (la tannerie Frémaux à La Madeleine ...), tous de qualité.
Cet artiste est né à Petite-Synthe le 4 octobre 1874 et mort à Paris le 2 juin 1939. Ses cendres reposent au colombarium du Père-Lachaise.
Fils unique d'un entrepreneur-architecte qui l'initiera à son métier, il travaille longtemps avec son père avant de s'installer en 1905 à Mons-en-Barœul et d'y ouvrir son propre atelier d'architecture. À ce premier cabinet succédera un plus grand, dans la vaste maison qu'il fait bâtir en 1912, l'année de son succès au concours d'architecte agréé, une superbe demeure tenue pour la plus belle de la ville et célèbre encore aujourd'hui : Le Vert Cottage. En 1922, il déménagera à Lille.
Son style, éclectique et original, qui à ses débuts puise dans la tradition flamande, évoluera de l'Art nouveau jusqu'à la modernité d'un Mallet-Stevens (4) dont Pagnerre soutiendra la candidature à la direction des Beaux-arts de Lille en 1935 ou de Le Corbusier.
Gabriel Pagnerre fut secrétaire des architectes agréés du Nord de la France de 1921 à 1922 puis nommé en 1930 secrétaire régional du Syndicat français des architectes.
Après une admission au Salon des artistes français en 1911, il a obtenu la grande médaille d'or à l'Exposition internationale de Bruxelles en 1933.
Gérald Mennesson
Association Téteghémoise d’Histoire
- Blessé deux fois, Gabriel Pagnerre finira la guerre comme lieutenant, sera décoré de la Croix de guerre et de la médaille du combattant et fait chevalier de la Légion d'honneur.
- La photo est extraite d'une brochure de l'association Eugénies, aujourd'hui dissoute : Eugène Gabriel Pagnerre. L'architecte et son œuvre. Nous remercions Monsieur Jacques Desbarbieux, ancien président de l'association, d'en avoir autorisé l'utilisation et la diffusion.
- Pagnerre inverse l'ordre de ses prénoms après le décès de sa mère Eugénie, morte de la grippe espagnole le 2 février 1919.
- Robert Mallet-Stevens (1886-1945), l'auteur notamment de la Villa Cavrois, à Croix, considérée comme son chef-d'œuvre et achevée en 1932.