La métamorphose du Cinéma Le Mondial

Lille : tombé dans l’oubli, le cinéma Le Mondial en pleine métamorphose

Un article d'Angélique Da Silva-Dubuis avec des photos de Philippe Pauchet paru dans la Voix du Nord version numérique le dimanche 7 mars 2021, version imprimée (édition de Lille) le lundi 8 mars 2021.


Avec deux associés, médecins comme lui, Olivier Berthoud a racheté à la ville l’ancien cinéma Le Mondial situé rue Racine à Wazemmes pour y installer une crèche associative. À l’abandon depuis des années, l’immeuble est l’œuvre de l’architecte Eugène Gabriel Pagnerre. Le film d’une folle aventure.



Dans le rôle principal : Gustave, le cafetier

 

Au 90, rue Racine, Le Mondial fut l’une des premières salles de la région exclusivement dédiée au cinéma, en 1909, grâce à un certain Gustave Duthoit. Cafetier rue des Postes, il organisait des projections dans l’arrière-salle de son estaminet où l’on se bousculait. Un succès qui a poussé le commerçant à se lancer dans la construction d’un cinéma. Il confie ce projet à l’architecte Eugène Gabriel Pagnerre, maître de l’Art nouveau et auteur de nombreuses réalisations dans la métropole lilloise.

 

Le rideau sur l’écran est tombé en 1972. Le cinéma a d’abord été occupé par un bazar puis par la Poste jusqu’en 2004. Le cinéma est ensuite tombé dans l’oubli jusqu’à un appel à projet de la ville, propriétaire des lieux en 2016. Le début d’une folle aventure pour Olivier Berthoud.

 

Qui a camouflé la plaque de l’architecte ?

 

À l’abandon, l’édifice a tapé dans la rétine de ce jeune médecin installé à Lille depuis une dizaine d’années. Il interroge les habitants du quartier et découvre l’histoire de l’ancien cinéma de Wazemmes. Ses recherches l’amènent vers l’association Eugénies qui s’attache à faire connaître le travail de l’architecte monsois Eugène Gabriel Pagnerre. Olivier Berthoud rencontre Jacques Desbarbieux et Guy Selosse. Bonne pioche. Les deux historiens locaux, par ailleurs membres des Amis de la Villa Cavrois, se passionnent pour le destin de l’architecte monsois.



À deux pas de la station de métro, l’ancien cinéma fait figure de belle endormie. Pour quelle raison la plaque de l’architecte a été soigneusement enduite de peinture ? Mystère. La façade est sertie de décors géométriques, de vitraux et de sgraffites typiques de l’art décoratif. Des éléments qui seront préservés dans le cadre du chantier de restauration porté par Olivier Berthoud.

 

Lâchés par les banques, ils empruntent à leur entourage

 

Président de SOS médecins Lille, Olivier a entraîné deux proches, médecins eux aussi, dans ce projet qui doit faire place à une crèche. Leur idée est de créer une crèche intergénérationnelle en lien avec l’EHPAD municipal Marie Laurencin dont le jardin communique avec l’ancien cinéma. « L’idée de cette crèche est de faire le lien entre les enfants et les personnes âgées. Nous avons la conviction qu’ils ont beaucoup de choses à s’apporter au quotidien : des souvenirs, des regards, une présence apaisante... », explique le médecin. Dans le projet, il est question que les familles bénéficient d’un financement solidaire.

 

Une belle idée sur le papier, restait à convaincre les banques. C’est la désillusion. « Nous nous sommes vus refuser tout financement pour la réhabilitation de ce bâtiment, compte tenu de l’ampleur des travaux et de leur coût, par sept organismes bancaires », raconte Olivier. Une banque acceptera finalement de les suivre. Mais dans l’intervalle, pour respecter leurs engagements auprès de la ville, les trois associés doivent acquérir l’immeuble avec leurs économies et en empruntant à leur entourage. « Nous avons tenu une année sans savoir ce que nous ferions en l’absence de financement des travaux avant de pouvoir rembourser tout le monde et être refinancés par une banque ! »

 

À force de persévérance « et de belles rencontres », le chantier, qui fait appel à des artisans d’art, prend forme. Les éventuels donateurs et mécènes peuvent se faire connaître auprès de l’association Eugénies.

 

Contact : asso.eugenies@gmail.com

 

Une salle à l’italienne et des mouchoirs pour les films romantiques

 

Dans les années 1900, on recensait pas moins de six cinémas dans le quartier de Wazemmes. Bâti en 1909, à l’initiative d’un cafetier de la rue des Postes, le cinéma Le Mondial disposait d’une magnifique salle à l’italienne de 1 200 places. Il fut fermé pendant la Première Guerre mondiale.

 

Un pianiste accompagnait les films muets

 

À sa réouverture en 1919, on raconte que les Duthoit, propriétaires, furent obligés de faire barrage pour contenir la marée humaine qui se pressait à l’entrée.

 

Au début, des films muets étaient projetés et c’est un pianiste qui jouait la musique. Petite anecdote rapportée par La Voix du Nord : lors de la projection de films romantiques, on y distribuait des mouchoirs en papier portant le nom du film.

 

Le cinéma a fermé en 1972. Un bazar s’y est installé, puis la mairie de quartier, et enfin La Poste, fermée en 2004. Depuis, l’immeuble était à l’abandon.

 

Nicole et ses souvenirs d’enfance



Jeudi, jour de marché. En partant à la rencontre d’Olivier Berthoud, nous sommes tombés sur Nicole. Elle est née en 1948, rue Jules-Guesde. Après une vie professionnelle bien remplie, Nicole est revenue chez elle à Wazemmes. Son Wazemmes. « Je devais avoir sept ans quand je suis venue au cinéma pour la première fois. Je me souviens, il y avait deux escaliers sur les côtés pour accéder aux balcons. Quand nous étions plus grands, nous devions emmener nos petits frères et sœurs. On les installait en bas puis on allait là-haut avec les copains… » Les petits copains ? « Bé oui ! », s’amuse-t-elle. Nicole se souvient du parfum des sodas achetés à l’entracte. Et des cornets gourmands de la friterie voisine. Le rituel du samedi pour les habitants du quartier. Nostalgie.


Les clichés de la réfection











La version imprimée de l'article