Publié dans La Voix du Nord
Au début du siècle dernier, vivait à Mons un
architecte haut en couleurs, Eugène-Gabriel Pagnerre. On lui doit
quelques-unes des plus belles façades de la ville, comme le 205 de la
rue du général de Gaulle, qui fut son premier cabinet d'architecte.
Eugène Gabriel, personnage complexe, tirait parti, avec talent, de ses propres contradictions. Né à Petite-Synthe, dans le Dunkerquois, il a été toute sa vie un régionaliste convaincu, a défendu la langue flamande et glorifié les qualités de droiture et de courage de « l'homme du Nord ».
En même temps il était un Européen farouche. Il
s'inspirait volontiers de l'Art nouveau d'Albert Roosenboom et Victor
Horta, dont les maisons bruxelloises étaient à une portée de voiture,
ainsi que de l'architecture Arts and Craft, anglaise. Il connaissait
très bien Mallet-Stevens, et Le Corbusier, qu'il fit venir à Lille en
1933.
En perpétuel renouvellement, l'architecte monsois entendait
toujours se situer à la pointe des nouvelles tendances et des nouvelles
techniques, tout en exprimant son génie régional. Ce mélange osé est
toujours visible sur les façades de ses maisons. Il s'y côtoie des
soubassements en béton armé préfabriqués en usine et des pignons
d'inspiration flamande ou des fenêtres à colombage évoquant les villas
du bord de mer.
Eugène-Gabriel se rêvait aussi, parfois, en
urbaniste. « Puissent les Français du Barœul, Lillois, Roubaisiens,
Tourquennois, s'unir pour l'accomplissement du vœu commun et bâtir avec
ferveur la métropole qui, par sa masse et son importance économique,
sera la seconde ville de France... en attendant de devenir, par son
rayonnement pacifique et son nordisme inaltéré, la première de
l'Occident continental », écrivait-il dans Au Nord, un astre nouveau,
1929.
Il ne craignait pas de mettre ses idées en pratique et de
proposer son propre schéma urbain. Il situe le centre de cette nouvelle
métropole, « capitale de l'Europe », à Mons-en-Baroeul, précisément au
niveau de la nouvelle mairie.
Sur ce plan « bleu » daté du 17 décembre
1925, on distingue une grande place vers laquelle convergent plusieurs
avenues. Elle rappelle, toutes proportions gardées, la place de
l'Étoile, à Paris.
Dans le même esprit, la ville a été divisée en
arrondissements organisés dans le sens des aiguilles d'une montre. Il
existe un axe Est-Ouest (avenue Robert-Schuman) et un axe Nord-Sud
(Marc-Sangnier), tout comme aujourd'hui. Finalement, Henri Chaumette, à
qui l'on doit les plans de l'ancien Nouveau Mons, avait eu à peu près la
même idée... la place exceptée !
Gabriel Pagnerre en a rêvé et,
bientôt, la Ville l'aura fait ! La nouvelle place sera très différente
de ce projet centenaire. On n'y verra pas toutes les voitures de la
métropole y converger. Ce sera un coeur de ville piétonnier et vert, au
centre de deux axes perpendiculaires qui lui ressemblent.
Probablement, l'idée n'aurait pas déplu à l'architecte. En tout cas, il
n'aurait pas renié ce nom de place de l'Europe.
Alain Cadet